Un film de Alain Cavalier
Avec Vincent Lindon, Alain Cavalier, Bernard Bureau
Avec Vincent Lindon, Alain Cavalier, Bernard Bureau
Article publié sur la webzine Il était une fois le cinéma
Une forme ludique pour un propos politique :
le dernier film d'Alain Cavalier fait la révolution en s'amusant.
« J'ai l'impression que je peux vraiment être premier ministre »
Il était une fois deux amis, deux artistes : Alain Cavalier et Vincent Lindon, un cinéaste et son comédien. Pendant un an, à la manière d'un jeu d'enfants, ils se sont filmés à la fois dans vie et dans le cadre d'une fiction politique qu’ensemble ils ont inventée au gré de leurs rencontres. Alain Cavalier campe ici un président en fin de règne qui veut transmettre les rênes du pouvoir à son idéaliste et fougueux premier ministre (Vincent Lindon). Voilà pour la trame de départ sur laquelle les acteurs doivent broder. Là-dessus, des cameramen à bas coût (les acteurs eux-mêmes), quelques décors sommaires (l'appartement d'Alain Cavalier, le dressing de Vincent Lindon...), des seconds rôles refilés à de bons copains ou au premier venu : le tournage peut commencer ... et au spectateur de se débrouiller avec ça !
« Nous sommes dans la fiction... enfin un peu. Mais nous, on mélange tout »
Qu'on ne s'y trompe pas : si le dispositif de Pater se veut modeste, le film en lui même ne manque pas d'ambition. Depuis plus d'un siècle, le cinéma ne cesse de questionner la frontière floue et parfois si ténue qui sépare fiction et réalité. Ici, l'incertitude sur le statut de l'image agit comme postulat. Alain Cavalier entremêle sans vergogne scènes documentaires et séquences de fiction ; parfois, l'une et l'autre se succèdent, se confondent dans la même prise, à telle enseigne que le spectateur éprouve un vertige face à l'incertitude qui règne à l'écran. Que penser de ces scènes montrant des séances de travail avec l'équipe du film ? Sont-elles des prises documentaires à la manière d'un making of ou une reconstitution de tournage ? Le rapport entre vérité et mensonge, fiction et documentaire est si incertain que la question de savoir « si c'est du lard ou du cochon » vole très vite en éclat : répétitions, tranches des vies, making of et scènes de fiction ne sont que les différents fils finement tressés d'une seule et même étoffe.
« Film expérimental », une formule magique qui s'avère d'ordinaire diablement efficace pour vider les salles obscures. Pourtant, si Pater a tout d'un véritable OFNI (Objet Filmique Non Identifié), il n'en est pas moins jubilatoire et très facile d'accès. Cette avant-garde n'a rien d'un pensum post-moderniste réservé à l'usage exclusif d'une poignée d'initiés masochistes. Bien au contraire : pour peu qu'il fasse le déplacement, le grand public prendra beaucoup de plaisir à la vision d'un film où l'ironie et le comique de situation règnent en maîtres. Les acteurs, irrésistibles à la vie comme dans la fiction, participent pour beaucoup de ce bonheur de cinéma. L'esprit ludique, parfois potache, de ce long-métrage n'a d'égal que la vivacité de sa forme et sa liberté de ton.
Au « Non » du père
Il y a dans ce Pater la pleine expression d'un esprit sain, celui de Vincent Lindon, un John Doe rempli de bons sens. « Si je suis bien entouré, si je choisis les bonnes personnes, si j'ai la bonté en moi, si j'ai du bon sens... » : (faussement) naïf, il énumère dans le film les conditions de sa réussite au poste de Premier ministre, avant de constater : « dans une entreprise, quand le dernier ouvrier non qualifié touche cinquante fois moins que son patron, il y a quelque chose qui ne va pas ». Pour mettre un terme à cette injustice, à l'acteur-ministre de proposer toute une série de mesures, le plus souvent fantaisistes ou naïves, mais qui toutes mettent le doigt sur une évidence : le fric et le pouvoir gangrènent nos sociétés. Quelques anecdotes documentaires particulièrement drôles et efficaces viennent souligner la dimension véritablement politique du film et l'indignation d'Alain Cavalier face aux puissances de l'argent. Pater possède en effet cette remarquable capacité à ratisser large, à ouvrir son propos sur de nombreux sujets de société (le sport, les fringues, les propriétaires,...). Parce qu'il ne théorise pas son discours, jamais le film ne sermonne, ni ne prêche : son message n'en est que plus puissant. Sa générosité et son enthousiasme déplaceraient des montagnes. Hélas, point de miracle en ce bas monde. Faute de perspectives célestes, Pater loue alors à l'envie les nourritures terrestres.
Top chef
Pater commence dans une cuisine et s'achève autour d'un dîner. De la préparation liminaire à la dégustation finale, la caméra d'Alain Cavalier s'attardera souvent en cuisine, lieu de tous les fantaisies culinaires où l'on célèbre la bonne chère et les bons vins. Le film s'ouvre précisément sur un cours de cuisine « sans filets » : le réalisateur, filmé par son acteur, est afféré au dressage d'une assiette. Assaisonner les produits, marier les saveurs, l'expérimentation culinaire joue pour sûr comme métaphore du processus de création à l'oeuvre dans Pater.
Faire sa tambouille entre amis renvoie encore et surtout à la cuisine électorale à laquelle nous assistons tout au long du film : l'élection vue comme une loterie, le chantage comme un mode de négociation et, au milieu de tout cela, un fils qui trahit son père spirituel. La gastronomie, art noble et fierté française, devient tambouille politique. Au cours du film, la visite de la garde-robe de Vincent Lindon ne nous donne pas d'autre recette pour réussir : tout est question de taille de costume et de choix de paire de chaussures. L'habit fait le politique, l'apparence fait le rôle. Comme si, pour ces décideurs dérisoires enfermés dans leur tour d'ivoire, il ne s'agissait soudain plus d'agir mais de communiquer, non plus de faire mais d'avoir l'air. Dans Pater, il n'est question que de jeu, toujours et partout, et d'interprétation : savoir être un bon ministre, un bon acteur, un bon-homme, un bon fils. Vertige d'une modernité où la fiction tend à supplanter le réel.
Par sa forme indéfinissable, ce film traduit de manière particulièrement habile la dimension fictionnelle qui dissout la réalité du monde contemporain. La liberté absolue et le propos cavalier de ce work in progress font le restent, emportant le spectateur sur des chemins de traverse où il fait bon se perdre pour retrouver le plaisir d'un pique-nique en forêt, d'un pastis entre amis ou d'une sieste avec un boulanger. Un film rieur et salvateur. Un Pater que nous faisons nôtre.