22 juin 2011

Pater


Un film de Alain Cavalier
Avec Vincent Lindon, Alain Cavalier, Bernard Bureau

Article publié sur la webzine Il était une fois le cinéma


Une forme ludique pour un propos politique :
le dernier film d'Alain Cavalier fait la révolution en s'amusant.

« J'ai l'impression que je peux vraiment être premier ministre »

Il était une fois deux amis, deux artistes : Alain Cavalier et Vincent Lindon, un cinéaste et son comédien. Pendant un an, à la manière d'un jeu d'enfants, ils se sont filmés à la fois dans vie et dans le cadre d'une fiction politique qu’ensemble ils ont inventée au gré de leurs rencontres. Alain Cavalier campe ici un président en fin de règne qui veut transmettre les rênes du pouvoir à son idéaliste et fougueux premier ministre (Vincent Lindon). Voilà pour la trame de départ sur laquelle les acteurs doivent broder. Là-dessus, des cameramen à bas coût (les acteurs eux-mêmes), quelques décors sommaires (l'appartement d'Alain Cavalier, le dressing de Vincent Lindon...), des seconds rôles refilés à de bons copains ou au premier venu : le tournage peut commencer ... et au spectateur de se débrouiller avec ça !

« Nous sommes dans la fiction... enfin un peu. Mais nous, on mélange tout »

Qu'on ne s'y trompe pas : si le dispositif de Pater se veut modeste, le film en lui même ne manque pas d'ambition. Depuis plus d'un siècle, le cinéma ne cesse de questionner la frontière floue et parfois si ténue qui sépare fiction et réalité. Ici, l'incertitude sur le statut de l'image agit comme postulat. Alain Cavalier entremêle sans vergogne scènes documentaires et séquences de fiction ; parfois, l'une et l'autre se succèdent, se confondent dans la même prise, à telle enseigne que le spectateur éprouve un vertige face à l'incertitude qui règne à l'écran. Que penser de ces scènes montrant des séances de travail avec l'équipe du film ? Sont-elles des prises documentaires à la manière d'un making of ou une reconstitution de tournage ? Le rapport entre vérité et mensonge, fiction et documentaire est si incertain que la question de savoir « si c'est du lard ou du cochon » vole très vite en éclat : répétitions, tranches des vies, making of et scènes de fiction ne sont que les différents fils finement tressés d'une seule et même étoffe.

« Film expérimental », une formule magique qui s'avère d'ordinaire diablement efficace pour vider les salles obscures. Pourtant, si Pater a tout d'un véritable OFNI (Objet Filmique Non Identifié), il n'en est pas moins jubilatoire et très facile d'accès. Cette avant-garde n'a rien d'un pensum post-moderniste réservé à l'usage exclusif d'une poignée d'initiés masochistes. Bien au contraire : pour peu qu'il fasse le déplacement, le grand public prendra beaucoup de plaisir à la vision d'un film où l'ironie et le comique de situation règnent en maîtres. Les acteurs, irrésistibles à la vie comme dans la fiction, participent pour beaucoup de ce bonheur de cinéma. L'esprit ludique, parfois potache, de ce long-métrage n'a d'égal que la vivacité de sa forme et sa liberté de ton.


Au « Non » du père

Il y a dans ce Pater la pleine expression d'un esprit sain, celui de Vincent Lindon, un John Doe rempli de bons sens. « Si je suis bien entouré, si je choisis les bonnes personnes, si j'ai la bonté en moi, si j'ai du bon sens... » : (faussement) naïf, il énumère dans le film les conditions de sa réussite au poste de Premier ministre, avant de constater : « dans une entreprise, quand le dernier ouvrier non qualifié touche cinquante fois moins que son patron, il y a quelque chose qui ne va pas ». Pour mettre un terme à cette injustice, à l'acteur-ministre de proposer toute une série de mesures, le plus souvent fantaisistes ou naïves, mais qui toutes mettent le doigt sur une évidence : le fric et le pouvoir gangrènent nos sociétés. Quelques anecdotes documentaires particulièrement drôles et efficaces viennent souligner la dimension véritablement politique du film et l'indignation d'Alain Cavalier face aux puissances de l'argent. Pater possède en effet cette remarquable capacité à ratisser large, à ouvrir son propos sur de nombreux sujets de société (le sport, les fringues, les propriétaires,...). Parce qu'il ne théorise pas son discours, jamais le film ne sermonne, ni ne prêche : son message n'en est que plus puissant. Sa générosité et son enthousiasme déplaceraient des montagnes. Hélas, point de miracle en ce bas monde. Faute de perspectives célestes, Pater loue alors à l'envie les nourritures terrestres.

Top chef

Pater commence dans une cuisine et s'achève autour d'un dîner. De la préparation liminaire à la dégustation finale, la caméra d'Alain Cavalier s'attardera souvent en cuisine, lieu de tous les fantaisies culinaires où l'on célèbre la bonne chère et les bons vins. Le film s'ouvre précisément sur un cours de cuisine « sans filets » : le réalisateur, filmé par son acteur, est afféré au dressage d'une assiette. Assaisonner les produits, marier les saveurs, l'expérimentation culinaire joue pour sûr comme métaphore du processus de création à l'oeuvre dans Pater.

Faire sa tambouille entre amis renvoie encore et surtout à la cuisine électorale à laquelle nous assistons tout au long du film : l'élection vue comme une loterie, le chantage comme un mode de négociation et, au milieu de tout cela, un fils qui trahit son père spirituel. La gastronomie, art noble et fierté française, devient tambouille politique. Au cours du film, la visite de la garde-robe de Vincent Lindon ne nous donne pas d'autre recette pour réussir : tout est question de taille de costume et de choix de paire de chaussures. L'habit fait le politique, l'apparence fait le rôle. Comme si, pour ces décideurs dérisoires enfermés dans leur tour d'ivoire, il ne s'agissait soudain plus d'agir mais de communiquer, non plus de faire mais d'avoir l'air. Dans Pater, il n'est question que de jeu, toujours et partout, et d'interprétation : savoir être un bon ministre, un bon acteur, un bon-homme, un bon fils. Vertige d'une modernité où la fiction tend à supplanter le réel.


Par sa forme indéfinissable, ce film traduit de manière particulièrement habile la dimension fictionnelle qui dissout la réalité du monde contemporain. La liberté absolue et le propos cavalier de ce work in progress font le restent, emportant le spectateur sur des chemins de traverse où il fait bon se perdre pour retrouver le plaisir d'un pique-nique en forêt, d'un pastis entre amis ou d'une sieste avec un boulanger. Un film rieur et salvateur. Un Pater que nous faisons nôtre.



15 juin 2011

Mike

Un film de Lars Blumers
Avec Marc-André Grondin, Christa Theret, Eric Elmosnino, Olivier Barthelemy



Quelque part entre les frères Dardenne et Monte Hellman, Lars Blumers trace sa route dans ce premier film rempli de bière, de bons copains et de belles bagnoles. Rafraichissant et plutôt convaincant.

Dans la petite ville alsacienne de Kembs, les jours passent et se ressemblent. Du haut de ses 20 ans, Mike joue les éternels adolescents. Avec ses copains Fred et J.C., il prend la vie comme elle vient, avec ses plans foireux, ses virées en bagnoles et ses démêlés avec les flics. Arrive dans sa vie Sandy, belle blonde délurée et pas demeurée : saura-t-elle amener Mike à l'âge d'homme ?

Pour son premier long-métrage librement inspiré d'un fait-divers, Lars Blumers investit les terres de son enfance. Il reproduit, non sans une dose d'ironie, une Alsace rurale plus vraie que nature, avec ses traditions, sa légendaire propreté et sa douce chape d'ennui. Le film lorgne même du côté de l’émission Strip-tease lorsqu’on pénètre l’intérieur bourgeois des parents de Sandy, la petite copine de Mike. C'est à la fois excessif et fichtrement crédible, l'émission nommée plus haut nous ayant appris qu'il n'est rien de plus saugrenu que l'humain, rien de plus extravagant que le réel. On rit parfois et on sourit souvent, car Lars Blumers sait marier avec subtilité réalisme et burlesque. La fantaisie des situations permet à Mike de prendre son envol, de s’arracher du plancher des vaches et du réalisme (trop) social qui menaçait de le plomber.



Avec ses couleurs chaudes, ses lumières douces et une esthétique un brin seventies, Mike séduit également par sa photographie. Une mise en image aseptisée et publicitaire ? Le reproche pourrait être légitime tant les décors, les costumes et les couleurs sont flatteurs, arborant une forme de marginalité convenue. Toujours est-il que la beauté des images et des plans-séquences de même que le rythme du récit nous emportent. Les acteurs, Marc-André Grondin et Eric Elmosnino en tête, savent être à la fois drôles et touchants. Le film oscille ainsi entre humour et tendresse, légèreté et gravité.

Plus que la peinture d'une jeunesse rurale engluée dans l'ennui, Mike est aussi un vrai-faux road-movie. Vivre vite, mourir jeune : l’esprit du cinéma américain indépendant souffle sur le film. Mike a la fâcheuse habitude de voler des voitures. Pas question de les revendre ou de les brûler : il vole des voitures juste pour le plaisir de conduire et d'assouvir son désir d'ailleurs. Grisé par la vitesse, le jeune homme se sent libre, capable de fuir, mais finit pourtant toujours pas reposer les berlines « empruntées » là où il les a trouvées. C'est tout le paradoxe de ce road-movie alsacien : on passe son temps en voiture mais, plutôt que de tailler la zone, le personnage tourne en rond et finit par rentrer dormir chez papa.


Le film décrit ainsi l'itinéraire d'un enfant plutôt gâté par la nature mais qui vient s'écraser contre les règles d'un monde adulte auxquelles il est incapable de se conformer. Mike glisse lentement et habilement de la comédie vers le drame. Même si le projet s'essouffle un peu dans son dernier tiers, Lars Blumers réussit pour son premier film le pari osé d'un cocktail explosif entre réalisme social et burlesque.


01 juin 2011

Monsieur Papa

Un film de Kad Merad
Avec Kad Merad, Michèle Laroque, Vincent Perez, Gaspard Meier-Chaurand

Article publié sur Il était une fois le cinéma


Un premier film sympathique et inutile. A voir en famille.

A tout juste 12 ans, Marius est un gamin paumé dont le rêve est de rencontrer son père. Ne sachant où se cache le dit-géniteur, la mère (Michelle Laroque) embauche un inconnu (Kad Mérad) pour jouer le rôle. La mécanique est enclenchée.

C'est bien de mécanique dont il faut parler lorsqu'on évoque Monsieur Papa, et pour cause : les ficelles sont grosses, les personnages, les situations ont traîné partout et le cheminement narratif est balisé comme un sentier de Grande Randonnée. Une douce chape d'ennui entoure donc la vision de ce film où l'on prend la vie comme elle vient, où les problèmes d'argent n'existent pas, où les jeunes de cités sont des gosses inoffensifs qui jouent au foot, où les chefs d'entreprise font des semaines de 35h et où les chômeurs galèrent un peu, mais pas trop.


Bien que le premier film de Kad Mérad ne nous offre rien que nous n'ayons déjà vu et revu, il se regarde pourtant sans déplaisir. C'est qu'il convient de jauger Monsieur Papa à l'aune du genre cinématographique secret mais si prolixe auquel il appartient : le film du dimanche soir. Familial et attendu, tendre et moral, on attend de ce divertissement dominical qu'il réunisse sur le même canapé enfants turbulents et parents somnolents. Au sein de ce genre, certes mineur mais néanmoins garant de la cohésion de millions de foyers, Monsieur Papa est assurément une réussite.

Si les seconds rôles n'échappent pas à la caricature, le jeune Gaspard Meier-Chaurand (Marius) est touchant et le duo Mérad-Laroque fonctionne. Le choix de planter une partie de l'action dans le quartier chinois de Paris introduit un exotisme salvateur (bien que tout relatif) et nous épargne du même coup le circuit touristique habituel de la Capitale. Ça et là, des trouvailles de mise en scène, une séquence burlesque inattendue, des apparitions amies (Myriam Boyer, Clovis Cornillac...), une jolie japonaise et des poissons rouges : autant d'heureuses surprises qui trompent l'ennui. L'humilité du projet et la générosité du message finissent de nous rendre ce Monsieur Papa un rien sympathique. De là à aller le voir en salle, il y a d'évidence un pas qu'il ne faudra franchir que sous la contrainte de vos chères petites têtes blondes.