29 mars 2010

Nine ? Nein !


Article publié dans la revue Cine qua non d'avril 2010.



Adaptation pour l’écran du musical de Broadway (lequel s’inspirait du 8 ½ de Fellini), Nine narre les déboires d'un réalisateur à succès. A quelques jours du tournage de son nouveau film, Guido, cinéaste au sommet de sa gloire, vacille : il a perdu son inspiration et sa superbe. L'esprit envahi par le doute, Guido voit toutes les femmes qu'il a aimées venir défiler autour de lui.

Transposer un film de Fellini en musical : le pari osé avait été couronné de succès au début des années 80 sur les planches de Broadway. Trente ans plus tard, Rob Marshall  tente le passage de la scène à l’écran, et là : non de non ! Nein ! Nine ne passe pas. Ratage exemplaire, le film enchaîne les séquences comme on accumule des erreurs. Autopsie d’un musical assassiné.

Comment disséquer ce machin ? Par où commencer ? Peut-être par le scénario, pas brillant-brillant. Chez Fellini, l’intrigue n'était qu’une excuse pour pénétrer l'intérieur des personnages, faisant figure de modèle en matière de déstructuration du récit. Dans Nine, Rob Marshall s’attache au contraire scrupuleusement à sa petite histoire débile, et passe à côté du vrai sujet de 8 ½ : filmer le doute et l’impuissance d’un cinéaste.

Outre l’intrigue, il faut évidemment évoquer le casting, éblouissant, pour ne pas dire « m’as-tu vu ?». Oui mais, la condition « ciné » qua non pour que cela fonctionne dans un Musical, c’est que les acteurs sachent chanter et danser. Un détail qui avait déjà échappé à Rob Marshall lors du tournage de Chicago et qui une fois encore saborde le film : talentueux acteur de cinéma, Daniel Day-Lewis fait ici peine à voir, naviguant maladroitement entre ses girls, avec la grâce d’un camionneur : c’est simplement pathétique. Quant au ballet de ces dames, il est très peu convaincant, se résumant à un défilé de lingerie. Les chorégraphies sont toutes à la fois vulgaires et ineptes. Quant à la dimension sexy des numéros, elle est traitée au bulldozer par Rob Marshall. La mise en scène tape-à-l’œil réduit en effet le film à une série de (mauvais) clips RnB  : et « hop » je passe de la couleur au noir et blanc, et « wiizzz », je jette la caméra en l'air et je la rattrape, et « tac tac tac », je balance un montage à vous provoquer une crise épiletptique… Ok, Rob, mais pour dire quoi ?


Les tableaux musicaux, probablement les plus laids et ennuyeux de tout l'histoire du genre, déploient une telle vulgarité que l'on finit par éprouver une certaine compassion pour toutes ces magnifique actrices filmées à la truelle. La frenchy Marion Cottillard, dans le rôle de la femme trompée, est à peu près la seule à s’en sortir même si elle aussi finira le film en string dentelle et bas résille, au milieu de mâles en rut, le tout dans un décor de bordel. Pas de raison qu'elle ne passe pas elle aussi à la casserole...

Enfin, le coup de grâce est porté au spectateur par Maury Yeston. Le compositeur du musical a voulu réinventer ses partitions à l'occasion du tournage : dommage, il eût été inspiré de ne pas y toucher. La bande originale, devenue répétitive et criarde, enchaîne des thèmes qui se ressemblent tous. Ni plus ni moins qu'une mauvaise soupe pop pour bar lounge branché. Comment atteindre un tel niveau de vacuité et de laideur ? C'est à croire que Rob Marshall l'a fait exprès...

11 mars 2010

Shutter Island : Di Caprio, les nerfs à vif...


Un film américain de Martin Scorsese. 2h17.
Sortie en salle : 24 février 2010.

Article publié dans la revue Cine qua non de mars 2010.


En 1954, le marshal Teddy Daniels (Leonardo di Caprio) embarque avec son co-équipier pour l’île de Shutter Island. Les deux inspecteurs viennent enquêter au sein d’un hôpital psychiatrique ultra-sécurisé où sont internés de dangereux criminels. Rachel Solando, l’une des patientes, s’est en effet littéralement évaporée : sa cellule a été retrouvée vide, bien que fermée de l’intérieur. Comment expliquer cette évasion défiant les lois de la rationalité ? A peine Teddy Daniels s’est-il engagé dans son enquête qu’il se heurte à la résistance des autorités médicales, peu disposées à coopérer. Que diable se passe-t-il donc au sein du mystérieux hôpital de Shutter Island ?

Au premier abord, l’on s’étonne que Martin Scorsese se soit intéressé à Shutter Island, roman à succès de Dennis Lehane (également auteur de Mystic river). L’intrigue du livre est certes diablement malicieuse mais elle rappelle moins l'univers de Scorsese que les scénarii à twist qui ont fait les beaux jours de Night Shyamalan. Passé notre surprise, force est de constater que Shutter Island, projet atypique et inattendu, explore pourtant toutes les thématiques qui font le cinéma de Scorsese, à savoir le questionnement sur la folie et la violence, la culpabilité et le rachat.

Mais si Shutter Island nous surprend sur le fond, la construction du récit et son rythme nous étonnent également : le film débute en effet comme un thriller scorsesien « classique » mais très vite bifurque vers des chemins inconnus. Difficile d’en dire plus : on risquerait de déflorer le sujet. Car ce qui fait précisément la force de ce film, c’est sa capacité à nous plonger dans l’état d’inconfort du Marshal Teddy Daniels, lequel peine à démêler le vrai du faux, la vérité du rêve et les souvenirs de la projection fantasmatique. C’est que le réalisateur ne donne jamais au spectateur la possibilité d’en savoir plus sur l’intrigue que le personnage principal (un Leonardo Di Caprio toujours plus étonnant, à l’occasion de sa quatrième collaboration avec Scorsese). Le spectateur éprouve ainsi un malaise tenace, le film prenant rapidement l’allure d’un cauchemar éveillé, et pour cause : Shutter Island conjugue l’univers oppressant d’un asile psychiatrique à celui d’une prison sombre et insalubre. L’action se déroule de surcroît au sein d’un lieu clos et isolé alors que, dehors, la tempête et la mer se déchaînent.


L’atmosphère suffocante du film est également renforcée par l’imaginaire gothique qui a visiblement servi de source d'inspiration pour la création des décors et des costumes tout à la fois somptueux et terrifiants. De même, les prisonniers de l'île, dévoilant des visages mutilés et édentés, sont des incarnations proprement cauchemardesques de la démence. Ces représentations gothiques débouchent sur une figuration de la folie particulièrement saisissante, confinant à l’horreur. La visite d’un cimetière sous des trompes d’eau, l’exploration des couloirs d’une prison labyrinthique (…) : autant de morceaux de bravoure cinématographique qui s’enchaînent à l’écran, Martin Scorsese rendant au passage des gages à ses Maîtres (Kubrick et Hitchcock en tête). Le style flamboyant et emphatique de la mise en scène produit des effets de suspense et d’angoisse particulièrement efficaces même si ceux-ci aboutissent ponctuellement à une mise à distance du spectateur. A plusieurs reprises, la saturation d’effets (cadrage, montage, jeu des acteurs, musique…) produisent un résultat particulièrement baroque qui prête presque à sourire. La conclusion de Shutter Island valide pourtant a posteriori ce parti pris du "too much" : la grandiloquence ponctuelle de la mise en scène ne constitue ni plus ni moins que l’une des pièces du gigantesque piège que tend Martin Scorsese au spectateur. Reste néanmoins que la mise en image des cauchemars et de souvenirs de Teddy Daniels, souvent longue, empesée et visuellement détonnante, déçoit par rapport au reste du film. Quant à la bande originale, à la frontière du style pompier, elle manque singulièrement de subtilité.

Passées ces quelques réserves, il faut bien peser la toute première importance de ce film atypique dans la filmographie de Martin Scorsese. Oeuvre foisonnante et visuellement passionnante, Shutter Island offre au spectateur de vivre une expérience sensorielle étourdissante et inédite, celle d’une progressive perte des repères et d’un plongeon vertigineux dans l’univers de la folie.