14 novembre 2009

Les Herbes folles : il (ne) faut (pas) cultiver son jardin.

Les Herbes folles, film français d'Alain Resnais.
sortie : 4 novembre 2009. 1H32.



Le hasard comme point de départ et le surréalisme comme point d'arrivée : tel est le programme de vol du dernier opus d'Alain Resnais. Pour aller de l'un à l'autre, quelques figures fantaisistes et acrobatiques, à l'image de celles qu'effectuera, au sortir du film, l'avion conduit par Marguerite Muir.


Précisément, c'est par Marguerite Muir que tout commence, ou plutôt par le vol à la tire de son sac à main. Ce dernier est rapidement retrouvé par George Palet, lequel, non content de l'apporter à la police, s'entiche de mieux connaître sa propriétaire. Une curiosité qui tourne à l'obsession. Et voilà que la rencontre qui n'aurait jamais dû advenir entre ces deux inconnus semble devenir incontournable. M. Palet, cherche à forcer le destin, à engendrer son propre hasard.

Le hasard, thématique majeure du cinéma de Resnais, se retrouve donc au centre de l'intrigue des Herbes folles. Mais, le film renoue également avec la liberté de ton et de formes caractéristique de nombre des oeuvres du cinéaste. A cet égard, les premiers plans du film sont particulièrement révélateurs du projet des Herbes Folles. Ils s'attachent en effet à mettre en exergue un ridicule détail de notre paysage quotidien : ces petites plantes, ces mousses, ces herbes folles qui poussent dans les failles du bitume fatigué des routes. Une séquence de générique comme un pied de nez aux autoroutes toutes tracées du cinéma académique. La caméra d’Alain Resnais leur préfère les sinuosités des herbes folles qui poussent ça et là, de manière anarchique, au beau milieu de l'asphalte. Et voilà que la fantaisie vient recouvrir le bitume : le cinéma investit le réel et vient innerver notre morne quotidien. Car si "les Herbes folles" du titre font référence aux personnages du film, de joyeuses têtes folles allant de ci de là, elles renvoient bien évidemment à la forme du film.

Bien étrangère à l'art du jardin à la française, la mise en scène cultive dans Les Herbes folles une jungle abondante et impénétrable, faite de bribes de récits enchevêtrés. Le spectateur peine à saisir où va le conduire le film (l'inscription « The end » s'affichera à l'écran en gros caractères, près de trente minutes avant la fin du film...) et il doit rapidement se résoudre à se laisser promener au coeur de ce friche de scénario. A l'image de M. Palet qui ne cesse de repeindre, de rénover, d'embellir sa maison, le cinéaste se plaît à laisser le film se réinventer à chaque scène, convier sans cesse de nouveaux personnages et surtout esquisser des pistes fictionnelles rapidement laissées au bord du chemin (M. Palet, qui a perdu ses droits civiques, serait-il un dangereux personnage ? Quel passé cache-t-il derrière son visage impassible ?).

Pendant une heure trente, et ce n’est pas le moindre des plaisirs procurés par ce film, les grands noms du cinéma français défilent à l'écran, à commencer par les habitués de l'univers de Resnais, Sabine Azéma et André Dussolier. Mais, la fine fleur du (plus si) jeune cinéma français est également de la partie : Mathieu Amalric, Emmanuelle Devos, Anne Consigny, Sarah Forestier, Nicolas Duvauchelle... Même si les partitions qui leur sont proposées s’avèrent assez décevantes car un peu trop courtes pour des acteurs de cette ampleur, tous ont néanmoins répondu présents, comme pour dire : « j'ai tourné avec le maître » . Les décors et la photographie, pareillement superbes, ne gâchent rien au plaisir de cinéma des Herbes folles. Une douce fantaisie qui feraient presque oublier que ce film de jeune homme est réalisé par le doyen des cinéastes français.

Et les spectateurs dans tous ça ? Certains sortiront déboussolés et un peu déçu de l'expérience (nous en sommes), trouvant que cette joyeuse fantaisie qui tourne sur elle-même est somme toute un peu vaine : « tout ça pour ça ? ». Les autres (gageons qu'ils seront nombreux) se laisseront portés par la douceur inquiétante d'un film à la légèreté forcée mais aux qualités formelles indéniables.

05 novembre 2009

Retraitement des déchets : Mic-Macs à tire-larigot.

Mic-Macs à tire-larigot, film français de Jean-Pierre Jeunet.
Sortie : 28 octobre 2009. 1H44.



Une balle perdue qui vient se loger dans son crâne, et voilà que Bazil, employé d'un modeste vidéoclub, s'en va en guerre contre les industries de l'armement. Au détours d'une rue, il croise une bande d'énergumènes vivant à « Tire-Larigot », une caverne faite de bric et de broc qui trône au coeur d'une décharge publique. Bazil ne tarde pas à enrôler dans sa quête cette équipe de bras cassés, aux physiques atypiques, dont le cinéma de Jeunet nous a habitués.


Des moins que rien qui vont bousculer les nantis. Le sujet n'est pas neuf mais bon, pourquoi pas. Pourtant, le titre édifiant du dernier film de Jeunet affiche d'emblée la couleur (… couleur qu'on qualifierait sans hésitation de « jaunâtre», s'il fallait s'en tenir aux images faussement défraichies du film dont la pellicule semble avoir trempé un peu trop longtemps dans le café). La couleur, donc : le bricolage et la récup' règneront ici en maîtres. Il suffit de voir les intérieurs de la grotte de « Tire-Larigot » pour s'en convaincre. Magnifique décor fait de mille objets hétéroclites, d'un immense bric-à-brac savamment agencé... un joli travail de récup' donc, mais pour dire quoi ?


Ce qui inquiète en effet c'est le peu d'attention que le film porte à son histoire, laquelle pourrait être consignée sur un demi ticket de métro. Quant aux personnages, ils sont totalement sacrifiés, Jeunet étant visiblement bien plus préoccupé à filmer le bric à brac qui les entoure. Et voilà que le goût pour la mécanique déteint sur tout le film. Les personnages ne portent pas seulement des noms de machines (Calculette, Remington, Placard...): ils se trouvent réduits à des archétypes, pour ne dire des automates. C'est bien simple, ces esprits-là ne vivent pas ; ce ne sont que des corps mécaniques. La prouesse corporelle est partout, les personnages devant se faire objet pour mieux se fondre dans le capharnaüm de tire-larigot. Jeunet nous donne ainsi à voir des corps suppliciés, contraints par les machines : une contorsionniste qui rentre dans un frigidaire, ou Bazil qui deviendra, le temps d'une scène, un boulet vivant craché par un canon. Des personnages réifiés donc.


C'est qu'ils ne sont qu'un des rouages de l'immense mécanique d'un film-mécano à 22 millions d'euros. Une débauche de moyens et de trucages au service d'un oeuvre qui rêve sans doute de renouer avec la poésie bricolée de Delicatessen (Jeunet fait directement référence à ce film dans une scène... et la comparaison est cruelle pour son Mic-Mac). Là encore, il convient de faire du neuf avec du vieux : citations de scènes entières de Chaplin et références appuyés aux précédents films de Jeunet. L'art de la récupération est bien au coeur de l'écriture et de la réalisation du film. Mais voilà, il y a quelque chose de cassé dans l'univers de Jeunet. Si ce Mic-Mac n'est que rouages et machinerie, ça manque d'huile, à savoir, de vie : les gags se mettent en place avec labeur, les dialogues sont apprêtés et le film souffre d'un réel manque de rythme et d'énergie. Quant à l'improbable greffe Dany Boon, là encore, ça ne prend pas.


Vraiment, la mécanique est grippée. Un gâchis qu'on regrette pour ce cinéaste qui caricature ici son propre univers. La photographie est repoussante et la romance vire à la mièvrerie. Les méchants sont très méchants et les gentils très « gentils ». Morne horizon que celui dessiné par le film : entre des héros demeurés et des méchants cyniques, jamais un regard bienveillant ne se pose sur les personnages. Une oeuvre chosifiée, la vie réifiée. Sans doute aurait-il suffi de presque rien pour faire démarrer cette lourde mécanique. Ce petit rien, cela doit s'appeler « l'âme ».