Article publié sur la webzine Il était une fois le cinéma
Quarante-cinq ans après son succès en salles, la fresque historique "Paris brûle-t-il ?" paraît en DVD : l'occasion privilégiée de redécouvrir ce film sous-estimé et de rendre hommage à un réalisateur aujourd'hui encore boudé par la critique.
30 stars françaises, 20 000 figurants, 400 techniciens, 100 chars remis en état, 178 lieux de tournage : ainsi que l'impose le genre de la « fresque historique surproduite », la légende de Paris brûle-t-il ? s'est écrite à grand renfort de chiffres. Adaptation pour l'écran du best-seller de Dominique Lapierre et Larry Collins, cette co-production franco-américaine prétendait renouveler en 1966 l'exploit et le succès planétaire rencontrés quelques années auparavant par Le Jour le plus long. La débauche de moyens au service du projet aurait pu écraser le style du réalisateur René Clément ; il n'en est rien. Si le film n'est pas sans défaut (le premier d'entre eux résidant dans sa durée absolument démesurée), Paris brûle-t-il ? impressionne aujourd’hui encore par sa dramaturgie, sa justesse de ton et sa capacité à ne pas perdre le spectateur malgré une forêt d’enjeux, de personnages et d’intrigues parallèles.
Le choix du noir et blanc et le traitement quasi-documentaire des séquences de combat de rue tranchent de façon radicale avec les images léchés et glacées qui sont habituellement le lot de ce type de production. D’où ce sentiment si particulier d’être plongé au cœur de l’action et plus encore, au cœur de l’Histoire en train de s’écrire. L'ingénieux scénario de Francis Ford Coppola et Gore Vidal n’est pas étranger à cette réussite, mariant brillamment scènes de la grande Histoire et petites histoires d'héros anonymes. En outre, René Clément tire d’efficaces effets de suspens et d’émotion du recours au montage parallèle. Par son rythme plus soutenu et ses gigantesques scènes de liesse, c’est la seconde partie du film qui convainc réellement et emporte l’adhésion du spectateur : René Clément y exalte avec force et panache les beautés de Paris et le pouvoir des masses. Un mot encore sur la musique efficace et entêtante de Jean-Michel Jarre : ponctuant tout le film, la mélodie « Paris en colère » gronde, se cherche, résonne çà et là en variations diverses avant d'exploser, dans les derniers instants du film, dans une vibrante version orchestrale.
Incroyable et pourtant véridique : jamais jusqu'alors ce monument du cinéma mondial n'avait été édité en DVD sur le marché français. C'est dire la défiance tenace de la critique hexagonale à l'égard de l'œuvre de René Clément en général, et de ce film en particulier. Malgré ses 2 oscars et plus de 45 récompenses internationales, René Clément souffre durablement du profond dédain que lui porta jadis une partie de la Nouvelle Vague.
Cette somptueuse édition DVD annoncerait-elle la fin du purgatoire pour le cinéaste ? Outre le film, plus de 3 heures de boni sont rassemblés ici, qui abordent Paris brûle-t-il ? sous deux axes complémentaires, sa valeur historique d’abord, sa valeur artistique ensuite. Les nombreux témoignages d'historiens, de conservateurs et de membres de l'équipe du tournage s'avèrent aussi passionnants que riches d'enseignements. Ils documentent avec précision le contexte de réalisation du film et le replacent dans l’œuvre de René Clément. L’on ne peut que louer le travail d’édition engagé ici, qui permet de rappeler, s'il était encore besoin, que Paris brûle-t-il ? mérite mieux que la moue convenue qui accompagne souvent l'évocation de son titre. A quand une réédition de l’ensemble des films de René Clément dans des copies restaurées et agrémentées de boni ?
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