Sortie sur les écrans le 25 novembre 2009.
Article publié dans la revue Cine qua non de février 2010.
En Italie, au début du vingtième siècle, la riche Ida Dalser donne son coeur, son corps puis son consentement et sa fortune au jeune et fringuant Benito Mussolini. De cette union naîtra un enfant, Benito Albino, presque immédiatement renié par son père avant d'être sacrifié, comme Ida Dasler, sur l'autel de l'ambition politique et de l'idéal fasciste. Pendant près de deux heures, Vincere narre ainsi la lente descente aux enfers d'Ida concomitante à l'ascension du Duce.
Dissipons immédiatement tout malentendu : Vincere n'a rien d'un biopic sur Mussolini. Il est d'abord l'histoire tragique d'une femme et d'une passion. Exit donc les reconstitutions à l'écran de la marche sur Rome et des grandes dates de l'Italie fasciste. Ici, le règne du Duce est essentiellement effleuré, traité par des raccourcis saisissants, à l'image d'un buste en bronze de Mussolini qui se trouve soudain écrasé par une presse : ce plan simple, efficace et percutant figure à lui seul, et avec une puissante économie de moyens, la chute du Duce. Survolée, la grande histoire n'est pourtant pas absente du film, et pour cause : la puissance émotionnelle de Vincere naît d'abord de la dimension authentique et véridique du cauchemar d'Ida. Et ce n'est pas le moindre des mérites de Vincere que d'exhumer cette petite histoire longtemps restée enfouie au coeur de la grande.
En outre, Vincere porte bien son nom : la rage de vaincre et la violence d'un vouloir exacerbé innervent tout le film. Une scène d'amour liminaire entre Ida et le Duce annonce clairement la couleur: la jeune femme, allongée sur un lit, paupières closes, s'abandonne à son amant. Celui-ci, bien au contraire, a les yeux grands ouverts, regardant droit devant lui d’un air déterminé, l’esprit visiblement moins occupé par les délices de la chair que par le froid calcul de ce que ceux-ci lui rapporteront. Un vouloir impétueux qui est aussi et surtout celui d'Ida. Par amour, elle tentera toute sa vie de reconquérir Mussolini, faisant fi des enfermements répétés qu’elle subit et qui sont directement ordonnés par son ancien amant. Ida considère ces outrages comme des mises à l'épreuve. Egoïstement, elle veut reconquérir sa place, celle d'une femme influente mariée à un grand leader, fût-il fasciste et sanguinaire. Et, là encore, Vincere tire sa beauté et son originalité de cet incroyable projet, celui de nous faire aimer une femme, certes victime du Duce, mais prête à tout. Ida n’est pas une égérie contestataire, encore moins une résistante. Son courage n'a d'égal que son envie de vaincre. Elle est une victime qui rêve de rejoindre les bourreaux.
Si Vincere est un film audacieux dans son sujet, il l'est tout autant par sa forme, Bellochio exhibant des choix de mise en scène radicaux mais particulièrement opérants. Première et belle idée, celle de n'incarner Mussolini à l'écran que lors de sa phase de conquête du pouvoir. Une fois à la tête de l'Italie, le Duce n'apparaît plus dans le film que par le biais de véritables images d'archives. Mussolini, devenu icône, appartient désormais à l'histoire ; il n'est plus littéralement et visuellement qu'une image projetée. Second parti pris intéressant, le montage de Vincere alterne habillement scènes intimistes et séquences de foules. Par d’incessants allers-retours entre petite et grande histoire, le film conjugue ainsi le souffle épique d’une fresque historique en costumes à la retenue d'un drame en huis clos. Cette dynamique interne rend Vincere parfaitement déchirant : rien qui ne soit figé, passé ou posé dans le récit, bien au contraire. Le film explore en outre une veine parfois très lyrique, à travers des séquences d’une puissance pathétique indéniable. La séquence où, sous une averse de flocons, Ida, en robe de nuit, s'agrippe aux barreaux d'un hôpital psychiatrique, hurlant qu'elle est l'épouse légitime du Duce, en est un exemple poignant. Plus tard, l’on verra aussi une bouteille jetée à la mer par une femme qui, ayant perdu tout espoir, n'y glisse aucun message d’appel à l’aide. Cela pourrait être grandiloquent, c’est simplement bouleversant.
Le goût des images percutantes, on le retrouve partout dans Vincere. C’est que le média cinématographique est lui-même omniprésent à l’écran. En effet, Bellochio campe de nombreuses scènes de Vincere dans des cinémas de quartier. Dans ces salles, on y verra d’abord les actualités d’époques, rapidement remplacées par les films de propagande fasciste et les discours de Mussolini. Enfin, au sortir du film, un petit cinéma de plein air projettera aux malades d’un hôpital psychiatrique un film, un vrai : The Kid de Charlie Chaplin. Le cinéma, un média pour témoigner du réel tout autant que pour véhiculer des messages populistes. La salle obscure, un lieu salvateur enfin, où l’art peut porter très hautes les valeurs humanistes.
Servie par de magnifiques prestations d’acteurs, Vincere est une oeuvre ambitieuse, toute à la fois culottée et maîtrisée, dont on sort totalement conquis…. pour ne pas dire vaincu. Avec une mise en scène raffinée, lyrique, mais jamais tape à l'oeil, Bellochio signe ici plus qu'un film : par sa (re)tenue, Vincere a déjà toute la superbe de ce que l'on nomme « un classique ».
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