27 juillet 2011

Happy, happy


Un film de Anne Sewitsky
Avec Agnes Kittelsen, Joachim Rafaelsen

Article publié sur la webzine Il était une fois le cinéma


Auréolé d'un prix spécial du jury au festival de Sundance, "Happy, Happy" débarque sur les écrans français. Plongée dans les dérèglements du couple, ce premier film est une comédie douce amère pour le moins réussie.   

Malgré un mari qui la néglige et un fils qui la fait tourner chèvre, la douce Kaia s'entête à prendre la vie du bon côté : cette jeune femme au foyer remercie le ciel pour chaque nouvelle journée, aussi morne et insatisfaisante soit-elle. Pourtant, l'arrivée d'un couple de nouveaux voisins va ébranler ce bonheur de façade et faire prendre conscience à Kaia qu'elle peut continuer à sourire, en arrêtant de subir.


Un Noël blanc pas tout rose

Pour son premier film, la jeune réalisatrice norvégienne Anne Sewisky pose sa caméra dans un désert de neige, au moment des fêtes de Noël. Cette traditionnelle période de trêve va devenir le théâtre d'un délitement puis d'une guerre des couples. C'est que Happy, Happy n'a rien d'une comédie romantique de Noël. Le film se pose même comme un parfait anti- Love Actually puisque le conte vire ici au règlement de comptes.

Tout au long du film, Anne Sewisky décline un thème majeur : l'esclavage. L'angle peut sembler outré voire hors-sujet pour une comédie qui prétend dépeindre les rapports de force au sein du couple. Et pourtant, en s'agrippant à cet axe fort, la jeune réalisatrice met en lumière ce qui, dans les rapports quotidiens au sein d'une famille, s'apparente peu ou prou à un avilissement. La théorie du maître et de l'esclave appliqué au couple ? Pourquoi pas ! Sans méchanceté aucune, chacun des personnages tente de s'en sortir, au risque d'abîmer l'autre.

Quelques intermèdes légers interprétés par un choeur negro spiritual viennent ponctuer le ballet des sentiments: le registre musical choisi renvoie habilement à la thématique de l'esclavage et souligne le caractère de fable de ce conte de Noël.

Deux hommes, deux femmes : combien d'impossibilités ?

Si les personnages aspirent égoïstement à leur propre épanouissement, ils n'en sont pas moins terriblement sympathiques car fragiles, touchants, humains. À travers ces couples qui se décomposent et se recomposent, la réalisatrice met en image avec une grande acuité la fragilité des sentiments et les frontières floues entre tendresse, amitié et amour. La caméra est perpétuellement en mouvement et colle au plus près de ces personnages perdus dans l'immensité immaculée. Magnifiquement dirigé, le quatuor d'acteurs principaux transporte le spectateur du rire aux larmes, au milieu de ce paradis blanc devenu un purgatoire.

A travers ce huis clos enneigé, Anne Sewisky relève son talent à mettre des images sur des sentiments. L'empathie évidente de la réalisatrice pour les deux héroïnes féminines ne sacrifie en rien le traitement des personnages masculins. Le film recèle ainsi quelques scènes magnifiques de justesse, servies par un scénario très précis et bien dialogué (un scénario justement récompensé au festival du film européen de Bruxelles). La scène durant laquelle un jeu de société anodin débouche sur une crise conjugale est de ce point de vue exemplaire. Un bémol toutefois : ce scénario si impeccable est aussi implacable. Revirements et révélations s'enchaînent dans la seconde partie. Trop rapides, presque mécaniques, ils viennent perturber le rythme serein et la tonalité douce-amère du début de film.


Courons sous la neige !

A l'image de ces personnages nus, courant, hilares, dans la neige, Happy, Happy transpire d'une énergie vitale communicative et d'une fraîcheur qui jamais ne se dément. Justesse et maîtrise sont au rendez-vous de ce film à (tout) petit budget qui porte bien son titre : malgré une intrigue qui va conduire les personnages vers des situations de plus en plus dramatiques, la légèreté de ton persiste, envers et contre tout. Comme une politesse, une posture face aux drames humains.

20 juillet 2011

La Traque

Un film d'Antoine Blossier

Avec Grégoire Colin, François Levantal, Fred Ulysse

Article publiée sur la webzine Il était une fois le cinéma

Pour son premier long-métrage, le réalisateur Antoine Blossier transpose le cinéma d’horreur dans la campagne française : le résultat est terrifiant.   


Un gentil trentenaire part à la chasse en forêt avec sa belle-famille. Très vite, pa-ta-ta-traque ! Les sangliers s’énervent,… et le spectateur avec. Car, enfin, qui diable a pu miser un euro sur un scénario aussi imbécile qu'invraisemblable ? Que l’intrigue de La Traque puisse être consignée sur un demi post-it, pourquoi pas : l’horreur est un genre où le pitch importe moins que son potentiel de frissons. De là, à oser mettre en images une histoire aussi mal ficelée et incohérente, le spectateur est forcé de se poser des questions.

Les réactions des personnages apparaissent toutes outrées, plaquées, incompréhensibles. Quant à l'analyse des relations entre le gendre et son beau-papa, elle se révèle aussi subtile et pointue que celle à l'œuvre dans Joséphine, ange gardien. La petite morale de toute cette histoire de chasse aux sangliers ? « Il faut tuer le père, mais pas celui de votre fiancée, sinon celle-ci va se fâcher » : Tenez-vous le pour dit ! Devant tant de ridicule, provoquer la peur relève dès lors d’un véritable exercice de style.

Du style, il en faudrait précisément, faute de moyens financiers conséquents pour mettre en images les scènes d’affrontement entre les chasseurs et ces vilains cétartiodactyles assoiffés de sang humain. Pourtant, si le film est fauché, il n'a jamais l'astuce suffisante pour tourner sa pauvreté en atout, à l’image d’un Blair Witch Project, devenu la référence du genre. Faute d'argent, le réalisateur s'applique à cacher la misère, à travers des convulsions et circonvolutions de caméra, un montage épileptique et des salves de gros plans qui découpent en petits morceaux les énormes monstres sanguinaires… Tout cela est si mal mis en scène qu'on finit par ne plus même comprendre ce qui se passe à l'écran, ce qui, du reste, n'est pas très grave.

Décidément, le cinéma de genre, l’horreur en particulier, le cinéma français ne sait pas faire. Malgré une solide équipe technique, les séquences en forêt ne sont qu'un immense bourbier. L’action s'enlise, et Antoine Blossier aligne les séquences sans énergie ni invention : papa meurt, fiston meurt,... Afin d'abréger nos souffrances et celles des acteurs, on rêve de l'assaut d'une meute de sangliers décimant vite fait bien fait les derniers survivants.

Au sortir de la salle obscure, l’énigme reste entière : qui a pu financer cette horreur de film ? Une seule chose est certaine avec La Traque : si les chasseurs deviennent le gibier, le spectateur, lui, reste le dindon de la farce.