15 janvier 2010

Tetro : (God)father and son.

Tetro Film américain de Francis Ford Coppola. 
Durée : 2h07. Sortie au cinéma le 23 décembre 2009. 

Article publié dans la revue Cine qua non de janvier2010.


Bennie, à l'aube de ses dix-huit ans arrive à Buenos Aires, bien décidé à mieux connaître son frère aîné, Tetro. Ce dernier a en effet rompu depuis bien longtemps tout lien avec sa famille. Exilé en Argentine, il écrit sans conviction des bribes de pièces et joue à l'occasion les régisseurs pour un petit théâtre de quartier. Passées les retrouvailles glaciales entre les deux frères, Bennie gagne le coeur de Tetro et pénètre petit à petit son intimité. 

Assurément, point n'est besoin d'aimer le cinéma de Coppola pour être conquis par la grâce de Tetro, et pour cause : ce film n'a que peu à voir avec les productions d'antan du réalisateur (Le Parrain, Apocalypse now, Dracula). Cette fois, le budget est serré, l'équipe technique réduite et le sujet très personnel. A l'âge de 70 ans, Coppola se réinvente en quelques sorte, à travers ce film à forte connotation autobiographique : le cinéaste avait un frère aîné qu'il admirait beaucoup et un père distant qu'il vénérait. Cette configuration familiale est à la base de l'intrigue de Tetro. Difficile d'en dire plus; on risquerait de déflorer le sujet. 

Et précisement, la force de Tetro réside d'abord dans sa façon de prendre le spectateur par surprise. Le film débute en effet sur une histoire familiale presque anodine. Tout commence en mode mineur, presque en huis-clos, dans un noir et blanc soigné. On s’amuse un peu et on prend son temps : bref, on est en roue libre en Argentine. Pas pour longtemps : voici notre curiosité titillée par Tetro, cet homme massif et mystérieux. A l'instar de Bennie, on se prend au jeu de piste d'un film qui tente de reconstituer une vie à travers des bribes de romans, quelques lettres ou une photo. C'est à ce moment que Coppola impose à son film un premier changement de régime : des flashbacks viennent larder l'intrigue. Puis, c'est au tour des fantasmes, des rêves et autres mises en scène symboliques de déferler sur l’écran. Voilà bien la politesse de Tetro : celle de de dessiner un itinéraire déroutant et personnel dont seul Coppola connaît le point d'arrivée. Le film nous submerge peu à peu et nous emporte jusqu’à son final opératique, un dernier quart sans doute un peu trop démonstratif où les intentions de Coppola s'affichent davantage et forcent la signification de l'intrigue : le prix à payer pour que le cinéaste opère là sa dernière pirouette et place définitivement son histoire de famille sur le plan symbolique d’une réflexion sur l’histoire du cinéma. 


Car, que nous raconte exactement Tetro, que nous montre-t-il ? Le film s'ouvre sur le gros plan d'une ampoule autour de laquelle s'affole une mouche fascinée tout autant qu'effrayée par l'intensité de la  lumière. Et précisément, Tetro, fils d'un chef d'orchestre prestigieux, a préféré l'anonymat à la notoriété : il a fui le confort familial, a changé de nom et a tu son passé... Son emploi d'éclairagiste pour un théâtre de quartier est particulièrement signifiant du choix de Tetro. Pour lui, pas question de vivre sous les feux de la rampe. Il préfère rester tapi dans l'ombre et diriger les projecteurs sur les acteurs plutôt que sur lui-même. Héros de l'ombre, Tetro fuit la lumière, le trop plein de succès qui aveugle, à l'image d'une ampoule, des phares d'une voiture ou du gyrophare d'un camion de pompiers. Lumière et contre-jour. Succès ou anonymat. Vérité ou mensonge. Tetro nous interroge : vaut-il mieux parler ou se taire ? Filmer ou être filmé ?

Tour à tour froid, violent et tendre, le personnage de Tetro hante le film de bout en bout et rejoint immédiatement le panthéon des grandes héros masculins du cinéma de Coppola. Pour incarner cette figure mystérieuse et ambigüe, le cinéaste a la brillante idée de faire appel à Vincent Gallo, réalisateur sous-estimé et acteur trop souvent absent des écrans. C'est peu de dire que le film doit beaucoup à l'interprétation à fleur de peau de cet acteur d'exception; Vincent Gallo confirme ici qu’il est  aujourd'hui une relève sérieuse aux Pacino et De Niro d'antan. 

Au final, Tetro surprend par l'insistance avec laquelle Coppola se présente ici sous le jour d'un jeune cinéaste, d'un humble apprenti, héritier de ses aînés. A l'âge d'être grand-père, le parrain d'Hollywood s'affiche comme un fils, avec cette oeuvre aux allures de premier film. Une renaissance, on vous le disait !

03 janvier 2010

Avatar, l'au-delà du cinéma.

Avatar , film américain de James Cameron. 
Sortie le 16 décembre 2009. 2h40.

Article publié dans la revue Cine qua non de janvier 2010.


Nous sommes en 2154 sur Pandora, planète lointaine à la nature luxuriante. Les humains se sont installés sur cette terre hostile pour y exploiter un précieux minerai, faisant au passage bien peu de cas des Na'vi, grandes créatures bleues qui peuplent Pandora.

Comment retourner derrière la caméra après le phénomène Titanic, le film de tous les records ? Pas moins de dix années ont passé avant que James Cameron ne revienne avec Avatar, projet à l'ambition démesurée, pour ne pas dire « titanesque ». Hélas, ce qui fait le plus grand tort au nouveau film de James Cameron, ce sont moins les limites intrinsèques de ce projet que la promotion et le rouleau compresseur marketing qui entourent sa sortie écrasante sur les écrans. Depuis des mois, on nous annonçait l'événement Avatar. Mais à trop créer l'attente et à jouer les fiers à bras en claironnant peu ou prou que «James Cameron va  révolutionner le cinéma », ce qui doit arriver advient : on sort au final un peu déçu de l'expérience Avatar. On attendait la lune, il faudra se contenter de Pandora. Et, ce n'est déjà pas si mal.

Car, entendons-nous bien: le film de James Cameron tient toutes ses promesses en termes de divertissement et de grand spectacle. Son imaginaire coloré est particulièrement impressionnant, de même que sa 3D saisissante et ses effets de caméra absolument étourdissants. On aurait tort de négliger les prouesses numériques déployées par le film car c'est depuis toujours l'un des moteurs de la création pour le cinéaste. Film après film, d'Abyss à Terminator, de Titanic à Avatar, James Cameron revient à chaque fois avec l'ambition de repousser les limites de la technique. Ici, la technologie numérique atteint un sommet rarement (jamais ?) vu, offrant ainsi au film une fluidité visuelle, une ampleur et une liberté tout à fait jubilatoires pour le spectateur. Les nombreuses scènes d'action se révèlent toutes éminemment spectaculaires. D'une efficacité telle d'ailleurs que la soif de prouesses visuelles l'emporte parfois sur la narration, de telle sorte que le film se perd à plusieurs reprises dans des péripéties dictées par le goût de l'épate plus que par les nécessités du récit. L'interminable scène de guerre finale en est un flagrant exemple mais n'est pas hélas un cas isolé.

Voici donc la limite du projet de James Cameron : dans Avatar, les tours de force technologiques font enfler le versant spectaculaire du film au détriment de l'intrigue, sacrifiant clairement le fond et la narration sur l'autel de la forme. Aussi le film ne peine-t-il pas à faire sursauter le spectateur mais bien plus à l'émouvoir. La débauche de moyens et l'imaginaire étonnant de Pandora accouchent d'une intrigue qui se résume ni plus ni moins à celle de Pocahontas. Et, si le scénario a la bonne idée d'effectuer une inversion de point de vue intéressante, proposant au spectateur de s'identifier aux Na'vi plutôt qu'aux humains, pour le reste, la révolution est à l'écran, pas dans le scénario : les personnages sont réduits à une galerie d'archétypes bien connus (la gentille scientifique, le méchant militaire, l'oie blanche....), les ficelles de l'intrigue sont elles-aussi aussi rebattues et les thèmes éculés du « droit à la différence » et « du respect des minorités » ne bénéficient pas ici d'un traitement bien original. Plus gênant, par ses références multiples et explicites à l'Histoire américaine (le massacre des indiens, la guerre au Vietnam, l'invasion de l'Irak, la chute des tours jumelles... rien que ça !), le film ne gagne pas en épaisseur mais en confusion. Faute de vraiment dénoncer quelque chose, il peine en effet à signifier quoique ce soit. Le propos du film se noie ainsi dans une mare de bons sentiments consensuels mâtinés d'utopie écologiste. Mais, on l'aura compris, ici, le fond importe peu.

Avatar n'est certes pas le film révolutionnaire qu'on nous annonçait. Il n'est pas non plus le meilleur film qu'ait réalisé James Cameron. Pour autant, il ne faut pas nier que l'ambition formelle d'Avatar et sa dimension éminemment spectaculaire procurent un réel plaisir que les spectateurs auraient tort de bouder. Au final, c'est pour ses limites qu'Avatar pourrait faire date dans l'histoire du cinéma, et pour cause : le film ouvre grandes les portes d'un « au-delà du cinéma », celui d'un art avatar pétri de spectaculaire, relevant dorénavant plus du jeu vidéo ou de l'attraction à sensation que du septième Art.