15 juin 2011

Mike

Un film de Lars Blumers
Avec Marc-André Grondin, Christa Theret, Eric Elmosnino, Olivier Barthelemy



Quelque part entre les frères Dardenne et Monte Hellman, Lars Blumers trace sa route dans ce premier film rempli de bière, de bons copains et de belles bagnoles. Rafraichissant et plutôt convaincant.

Dans la petite ville alsacienne de Kembs, les jours passent et se ressemblent. Du haut de ses 20 ans, Mike joue les éternels adolescents. Avec ses copains Fred et J.C., il prend la vie comme elle vient, avec ses plans foireux, ses virées en bagnoles et ses démêlés avec les flics. Arrive dans sa vie Sandy, belle blonde délurée et pas demeurée : saura-t-elle amener Mike à l'âge d'homme ?

Pour son premier long-métrage librement inspiré d'un fait-divers, Lars Blumers investit les terres de son enfance. Il reproduit, non sans une dose d'ironie, une Alsace rurale plus vraie que nature, avec ses traditions, sa légendaire propreté et sa douce chape d'ennui. Le film lorgne même du côté de l’émission Strip-tease lorsqu’on pénètre l’intérieur bourgeois des parents de Sandy, la petite copine de Mike. C'est à la fois excessif et fichtrement crédible, l'émission nommée plus haut nous ayant appris qu'il n'est rien de plus saugrenu que l'humain, rien de plus extravagant que le réel. On rit parfois et on sourit souvent, car Lars Blumers sait marier avec subtilité réalisme et burlesque. La fantaisie des situations permet à Mike de prendre son envol, de s’arracher du plancher des vaches et du réalisme (trop) social qui menaçait de le plomber.



Avec ses couleurs chaudes, ses lumières douces et une esthétique un brin seventies, Mike séduit également par sa photographie. Une mise en image aseptisée et publicitaire ? Le reproche pourrait être légitime tant les décors, les costumes et les couleurs sont flatteurs, arborant une forme de marginalité convenue. Toujours est-il que la beauté des images et des plans-séquences de même que le rythme du récit nous emportent. Les acteurs, Marc-André Grondin et Eric Elmosnino en tête, savent être à la fois drôles et touchants. Le film oscille ainsi entre humour et tendresse, légèreté et gravité.

Plus que la peinture d'une jeunesse rurale engluée dans l'ennui, Mike est aussi un vrai-faux road-movie. Vivre vite, mourir jeune : l’esprit du cinéma américain indépendant souffle sur le film. Mike a la fâcheuse habitude de voler des voitures. Pas question de les revendre ou de les brûler : il vole des voitures juste pour le plaisir de conduire et d'assouvir son désir d'ailleurs. Grisé par la vitesse, le jeune homme se sent libre, capable de fuir, mais finit pourtant toujours pas reposer les berlines « empruntées » là où il les a trouvées. C'est tout le paradoxe de ce road-movie alsacien : on passe son temps en voiture mais, plutôt que de tailler la zone, le personnage tourne en rond et finit par rentrer dormir chez papa.


Le film décrit ainsi l'itinéraire d'un enfant plutôt gâté par la nature mais qui vient s'écraser contre les règles d'un monde adulte auxquelles il est incapable de se conformer. Mike glisse lentement et habilement de la comédie vers le drame. Même si le projet s'essouffle un peu dans son dernier tiers, Lars Blumers réussit pour son premier film le pari osé d'un cocktail explosif entre réalisme social et burlesque.


01 juin 2011

Monsieur Papa

Un film de Kad Merad
Avec Kad Merad, Michèle Laroque, Vincent Perez, Gaspard Meier-Chaurand

Article publié sur Il était une fois le cinéma


Un premier film sympathique et inutile. A voir en famille.

A tout juste 12 ans, Marius est un gamin paumé dont le rêve est de rencontrer son père. Ne sachant où se cache le dit-géniteur, la mère (Michelle Laroque) embauche un inconnu (Kad Mérad) pour jouer le rôle. La mécanique est enclenchée.

C'est bien de mécanique dont il faut parler lorsqu'on évoque Monsieur Papa, et pour cause : les ficelles sont grosses, les personnages, les situations ont traîné partout et le cheminement narratif est balisé comme un sentier de Grande Randonnée. Une douce chape d'ennui entoure donc la vision de ce film où l'on prend la vie comme elle vient, où les problèmes d'argent n'existent pas, où les jeunes de cités sont des gosses inoffensifs qui jouent au foot, où les chefs d'entreprise font des semaines de 35h et où les chômeurs galèrent un peu, mais pas trop.


Bien que le premier film de Kad Mérad ne nous offre rien que nous n'ayons déjà vu et revu, il se regarde pourtant sans déplaisir. C'est qu'il convient de jauger Monsieur Papa à l'aune du genre cinématographique secret mais si prolixe auquel il appartient : le film du dimanche soir. Familial et attendu, tendre et moral, on attend de ce divertissement dominical qu'il réunisse sur le même canapé enfants turbulents et parents somnolents. Au sein de ce genre, certes mineur mais néanmoins garant de la cohésion de millions de foyers, Monsieur Papa est assurément une réussite.

Si les seconds rôles n'échappent pas à la caricature, le jeune Gaspard Meier-Chaurand (Marius) est touchant et le duo Mérad-Laroque fonctionne. Le choix de planter une partie de l'action dans le quartier chinois de Paris introduit un exotisme salvateur (bien que tout relatif) et nous épargne du même coup le circuit touristique habituel de la Capitale. Ça et là, des trouvailles de mise en scène, une séquence burlesque inattendue, des apparitions amies (Myriam Boyer, Clovis Cornillac...), une jolie japonaise et des poissons rouges : autant d'heureuses surprises qui trompent l'ennui. L'humilité du projet et la générosité du message finissent de nous rendre ce Monsieur Papa un rien sympathique. De là à aller le voir en salle, il y a d'évidence un pas qu'il ne faudra franchir que sous la contrainte de vos chères petites têtes blondes.


15 mai 2011

Belleville-Tokyo

Un film de Elise Girard
Avec Valérie Donzelli, Jérémie Elkaïm, Philippe Nahon

Article publié sur Il était une fois le cinéma

 
Ancienne attachée de presse, Élise Girard passe derrière la caméra pour un premier film prometteur bien qu'inégal.

Sur un quai de gare, Julien rompt avec Marie. La mort dans l'âme et un bébé dans le ventre, la jeune femme va devoir réinventer sa vie de future mère.

Pour son premier film, Elise Girard s'empare d'un thème assez peu traité au cinéma : celui d'une femme enceinte abandonnée par son compagnon. Plus encore que le sujet, le point de vue adopté retient l'attention puisque le film prend le parti de se focaliser sur le personnage de Marie. Un sujet et un point de vue singuliers et ambitieux qu'il faut assurément mettre au crédit de ce premier film.


Si Belleville-Tokyo séduit par son pitch, il peine en revanche à convaincre formellement. Quelques scènes fortes éclairent le film mais, sur la longueur, Elise Girard échoue dans sa quête du bon tempo et du juste ton. A l'écran, l'on pense souvent à Truffaut et, plus près de nous, à Christophe Honoré, qui aurait pu trouver dans ce scénario le matériau d'un de ses films. Pourtant l'élève n'égale jamais ses maîtres. La faute sans doute à une mise-en-scène qui fait sienne le parti-pris de Marie, celui de refuser de se poser en victime. En voulant se distinguer de la veine d'un cinéma d'auteur « psychologisant », Elise Girard opte pour une retenue et un goût de la litote qui privent l'intrigue de son épaisseur : à force de ne pas montrer les sentiments des personnages, le film aligne les scènes, égrène les mois de grossesse, sans que se dessinent à l'écran de véritables inflexions, de réels retournements, un début d'histoire. L'on peine dès lors à s'intéresser véritablement à Marie et Julien, tant leurs motivations et leurs sentiments restent insondables. Tantôt outré, tantôt sur la réserve, le jeu des deux protagonistes principaux déroute également : ces changements soudains de tonalités fragilisent la crédibilité et la cohérence du film. La faute également aux dialogues : le souci de concision et de pudeur qui gouverne l'écriture les transforme trop souvent en échanges plats et fades. En évitant l'écueil du pathos, le récit n'évite pas celui de la banalité.

Projet personnel, réalisé avec ardeur et sincérité, Belleville-Tokyo reste un premier film trop fragile pour emporter l'adhésion. Si l'émotion affleure parfois à l'écran, jamais l'histoire personnelle ne devient réellement universelle. On se sent exclu d'un récit qui se déroule pour lui-même, prisonnier sans doute d'un carcan trop autobiographique, trop intellectuel, trop parisien. Sortir de Paris, passer le périph', faire le mur : voilà ce qui aurait sans doute fait le plus grand bien à Belleville-Tokyo.


04 mai 2011

Où va la nuit

Un film de Martin Provost
Avec Yolande Moreau, Pierre Moure, Edith Scob

Article publié sur Il était une fois le cinéma


Trois ans après Séraphine, Où va la nuit scelle les heureuses retrouvailles du réalisateur Martin Provost et de la comédienne Yolande Moreau.

Le titre annonce d'emblée la couleur et la direction, Où va la nuit est le récit d'un sombre itinéraire : le cheminement de Rose Mayer pour se libérer des griffes de son mari, d'abord, pour s'accommoder d'une vie de femme libre mais criminelle ensuite. Modeste petite chose, simple femme au foyer battue par un mari alcoolique, l'héroïne a tout de la parfaite victime dont on voudrait excuser le geste. C'eût été trop facile : dans un courageux et payant exercice d'équilibriste, le film de Martin Provost chemine sur un fil ténu consistant à ne pas blâmer mais surtout à ne pas dédouaner cette femme. Ne pas excuser, ne pas condamner : poser un regard bienveillant et curieux, observer cette victime devenue bourreau. Ici, le meurtre n'est pas le point d'arrivée mais le point de départ du récit.

Une fois le crime commis, la mécanique de fuite en avant se met irrémédiablement en marche : pour échapper à son sentiment de culpabilité, Rose part pour Bruxelles. En arrivant à la ville, un miroir lui offre le délicieux plaisir de redécouvrir sa beauté ; mais, quelques séquences plus loin, cette même glace lui renverra le reflet peu flatteur de sa culpabilité. Que faire quand chaque regard, chaque geste, chaque objet rappellent à Rose à son crime ? La caméra de Martin Provost mue ainsi un banal fait divers en une authentique tragédie. Le personnage du mari assassiné a déjà tout de l'archétype : par son mutisme et la violence de ses gestes, il apparaît comme une pure incarnation du Mal. De même, les intérieurs sont épurés, à la manière d'un décor de théâtre, et les personnages apparaissent perdus au milieu du cadre, tels des comédiens sur une scène immense : cette stylisation permet de conjuguer le drame familial en milieu rural au présent permanent de la tragédie. Et, si la caméra de Martin Provost fait mine d'expédier la scène de crime (magnifique séquence où la caméra ne donne à voir que le visage de Yolande Moreau), c'est pour mieux se concentrer sur les conséquences de l'acte monstrueux de Rose.


Véritable figure tragique, le personnage de Rose Mayer, (si magnifiquement) interprété par Yolande Moreau, reste un esprit insondable, un roc impénétrable. C'est donc en négatif, à travers les autres protagonistes, que le film esquisse les contours de la mystérieuse Rose. Une passionnante galerie de seconds rôles vient enrichir l'intrigue. Individus en marge ou aux réactions inattendues, chacun d'entre eux participe à dévoiler une facette de Rose et à précipiter son destin : ainsi le flic compréhensif à l'égard de la meurtrière ou encore la logeuse, mi-gardienne de prison mi-compagne d'évasion (Edith Scob, magistrale). Enfin et surtout, Denis, l'ami journaliste, tout à la fois inquisiteur et protecteur. Lui qui porte le prénom du premier enfant décédé de Rose présente tous les traits d'un fils compréhensif et compatissant, quand Thomas, le fils biologique de Rose, rejette violemment sa mère. De passionnants récits souterrains se développent ainsi au cœur du film. L'une des plus belles pistes explorées réside sans doute dans l'itinéraire de Thomas, ce fils jadis maltraité qui finit par adopter les comportements de son bourreau de père.


Le scénario précis et efficace est porté de bout en bout par une mise en scène subtile, jouant sur les symboles, les thèmes et leurs variations. L'art de la concision et le sens du rythme propres au cinéma de Martin Provost rendent le film tout à la fois percutant et incisif. Ici, point n'est besoin de trop en dire, tout est montré ou suggéré. Que demander de plus à un grand film ?

Drame resserré et implacable, Où va la nuit mènera Rose jusqu'à l'aurore de la rédemption. Au bout de son parcours, une mer infranchissable, naturellement. Tuer pour renaître à la vie : un sujet fort pour un film singulier et émouvant.


09 avril 2010

Baisers volés : initiations amoureuses


Article rédigé dans le cadre du cycle "Initiations amoureuses" du Ciné-Club de Sciences-Po. Publication à retrouver dans la revue Cine qua Non d'avril 2010.


Après le succès public des 400 coups et la sortie plus confidentielle d’Antoine et Colette, Baisers volés est le troisième des cinq films que François Truffaut consacre au personnage d'Antoine Doinel. Nous retrouvons ici notre héros à l'âge de raison. De petits boulots en amours éphémères, le jeune Doinel entame dans Baisers Volés ce que l'on serait bien en peine d'appeler sa « vie d'homme ».

On a beaucoup dit du troisième volet de la saga Doinel qu'il était un roman d'apprentissage. A juste titre : le film ne met en scène, pour ainsi dire, qu’une succession de premières fois. Des expériences multiples faites de tentatives avortées, d'emplois à la petite semaine, d'amours sans lendemain. Le scénario, en apparence décousu, est un enchaînement jubilatoire de péripéties improbables et de sketches burlesques : gardien de nuit puis détective privé, vendeur de chaussures et finalement réparateur de téléviseur, Antoine passe d’un emploi à l'autre au gré des hasards, des rencontres, ... et des renvois.

C'est que le jeune Doinel, inconstant et anticonformiste, ne cesse d'échouer dans sa tentative d'intégrer le monde des adultes. Il n’est pas donné à tout un chacun de ressembler à Monsieur Tout-le-monde ! L'inadaptation du personnage s'illustre notamment par ses échecs professionnels répétés. Lorsque le détective Doinel engage sa première filature, il se fait immédiatement repéré par sa cible, incapable qu’il est de se noyer dans la masse. Et, quand notre héros enquêtera pour le compte de M. Tabard, petit commerçant poujadiste, il finira par coucher avec sa femme. Vraiment, Antoine n'entend rien aux règles de la déontologie, de même qu'il méconnaît celles de l’amour. Notre héros n’en perd pas pour autant son enthousiasme, se précipitant, à corps perdu, d'une aventure à l'autre : plusieurs séquences montrent Antoine en pleine course dans les rues de Paris, naviguant entre voitures et piétons.

Pourtant, si le jeune Doinel nous divertit par son inexpérience et son inadaptation, le film regarde toujours son héros avec bienveillance et nostalgie. La dimension romantique du personnage de Doinel est évidente: jeune homme inexpérimenté et sans le sous, un brin rêveur et poète à ses heures, Antoine semble tout droit sorti d'un roman balzacien. Au début du film, heureux hasard, notre héros lit d'ailleurs Le Lys dans la vallée. En outre, le décor du film est celui d'un Paris de carte postale où la Tour Eiffel apparaît au coin de chaque rue et où les étroites fenêtres des chambres de bonnes offrent immanquablement une vue sur le Sacré-Coeur. « Que reste-t-il de nos amours? » : cette chanson de Charles Trénet qui accompagne l'ouverture de Baisers volés semble jouer comme une clé pour la compréhension du film. Cet air ressuscite en effet pour un instant une période révolue, celle d'une jeunesse insouciante et indécise. Et, c'est précisément cette ère passagère des amours volages que met en scène François Truffaut. Baisers volés narre, non sans une pointe de nostalgie, les débuts dans la vie d'adulte d'un éternel adolescent. D'où cette légèreté extrême du film et sa joyeuse spontanéité, nourrie d’improvisation.

Les aventures picaresques d’Antoine débouchent pourtant sur un enseignement véritable. Baisers volés relève en effet tout autant du roman d'apprentissage que d'une éducation sentimentale. Chacune des femmes que rencontre Antoine lui enseigne quelque chose des rudiments de l'amour et des fondamentaux de la vie de couple. Si Christine Darbon semble promise à Antoine dès les premières scènes de Baisers volés, notre jeune héros ira par deux fois trouver réconfort dans les bras d’une prostituée, couchera avec une femme mariée, croisera le chemin de son « ex » puis emboîtera le pas à une (très) grande blonde... Réelles ou fantasmées, fidèles ou adultères, les femmes sont partout dans Baisers volés, de même que les incarnations de l’amour et de ses complications : une jeune fille harcelée par son collègue, un mari trompé, une épouse volage....


Dans ce qui reste sans doute la scène la plus fameuse du film, Antoine, tiraillé entre son affection pour Christine et sa passion pour Mme Tabard, se surprend à répéter le nom de l’une et l’autre, face à la glace : « Christine Darbon… Fabienne Tabard… ». A la manière d’un exercice de prononciation, notre héros fait ses gammes amoureuses avant de se nommer lui-même, à plusieurs reprises : « Antoine Doinel, Antoine Doinel… ». Ne sachant dire qui il aime, notre héros peine à savoir qui il est. Déboussolé, il est à ce point troublé qu’il donnera du « Monsieur » à Madame Tabard au moment où celle-ci succombera à ses charmes.

Au sortir du film, Antoine et Christine concrétisent leur union à la faveur d’un hasard provoqué : la jeune fille a saboté son téléviseur pour faire venir chez elle Antoine, devenu réparateur. Faisant preuve d’une conscience professionnelle qui lui fait pourtant si souvent défaut, le jeune Doinel veille à mettre en route son compteur de facturation avant d’aller rejoindre Christine au lit... Le lendemain, dans un parc, un inconnu surgit devant le couple et déclare sa flamme à Christine, laquelle conclut : « il est complètement fou ce type-là». La jeune femme rejette ainsi un soupirant passionné pour lui préférer Antoine, un homme qu’elle espère plus constant. Pourtant, au jeu des amants modèles, Antoine Doinel fait figure d'imposteur, se jetant dans les bras de Christine par accident plus que par choix. Une scène finale magistrale qui porte déjà en germe les déboires futurs d’Antoine Doinel, tels que Truffaut les filmera dans Domicile conjugale et L’Amour en fuite.