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11 mars 2010

Shutter Island : Di Caprio, les nerfs à vif...


Un film américain de Martin Scorsese. 2h17.
Sortie en salle : 24 février 2010.

Article publié dans la revue Cine qua non de mars 2010.


En 1954, le marshal Teddy Daniels (Leonardo di Caprio) embarque avec son co-équipier pour l’île de Shutter Island. Les deux inspecteurs viennent enquêter au sein d’un hôpital psychiatrique ultra-sécurisé où sont internés de dangereux criminels. Rachel Solando, l’une des patientes, s’est en effet littéralement évaporée : sa cellule a été retrouvée vide, bien que fermée de l’intérieur. Comment expliquer cette évasion défiant les lois de la rationalité ? A peine Teddy Daniels s’est-il engagé dans son enquête qu’il se heurte à la résistance des autorités médicales, peu disposées à coopérer. Que diable se passe-t-il donc au sein du mystérieux hôpital de Shutter Island ?

Au premier abord, l’on s’étonne que Martin Scorsese se soit intéressé à Shutter Island, roman à succès de Dennis Lehane (également auteur de Mystic river). L’intrigue du livre est certes diablement malicieuse mais elle rappelle moins l'univers de Scorsese que les scénarii à twist qui ont fait les beaux jours de Night Shyamalan. Passé notre surprise, force est de constater que Shutter Island, projet atypique et inattendu, explore pourtant toutes les thématiques qui font le cinéma de Scorsese, à savoir le questionnement sur la folie et la violence, la culpabilité et le rachat.

Mais si Shutter Island nous surprend sur le fond, la construction du récit et son rythme nous étonnent également : le film débute en effet comme un thriller scorsesien « classique » mais très vite bifurque vers des chemins inconnus. Difficile d’en dire plus : on risquerait de déflorer le sujet. Car ce qui fait précisément la force de ce film, c’est sa capacité à nous plonger dans l’état d’inconfort du Marshal Teddy Daniels, lequel peine à démêler le vrai du faux, la vérité du rêve et les souvenirs de la projection fantasmatique. C’est que le réalisateur ne donne jamais au spectateur la possibilité d’en savoir plus sur l’intrigue que le personnage principal (un Leonardo Di Caprio toujours plus étonnant, à l’occasion de sa quatrième collaboration avec Scorsese). Le spectateur éprouve ainsi un malaise tenace, le film prenant rapidement l’allure d’un cauchemar éveillé, et pour cause : Shutter Island conjugue l’univers oppressant d’un asile psychiatrique à celui d’une prison sombre et insalubre. L’action se déroule de surcroît au sein d’un lieu clos et isolé alors que, dehors, la tempête et la mer se déchaînent.


L’atmosphère suffocante du film est également renforcée par l’imaginaire gothique qui a visiblement servi de source d'inspiration pour la création des décors et des costumes tout à la fois somptueux et terrifiants. De même, les prisonniers de l'île, dévoilant des visages mutilés et édentés, sont des incarnations proprement cauchemardesques de la démence. Ces représentations gothiques débouchent sur une figuration de la folie particulièrement saisissante, confinant à l’horreur. La visite d’un cimetière sous des trompes d’eau, l’exploration des couloirs d’une prison labyrinthique (…) : autant de morceaux de bravoure cinématographique qui s’enchaînent à l’écran, Martin Scorsese rendant au passage des gages à ses Maîtres (Kubrick et Hitchcock en tête). Le style flamboyant et emphatique de la mise en scène produit des effets de suspense et d’angoisse particulièrement efficaces même si ceux-ci aboutissent ponctuellement à une mise à distance du spectateur. A plusieurs reprises, la saturation d’effets (cadrage, montage, jeu des acteurs, musique…) produisent un résultat particulièrement baroque qui prête presque à sourire. La conclusion de Shutter Island valide pourtant a posteriori ce parti pris du "too much" : la grandiloquence ponctuelle de la mise en scène ne constitue ni plus ni moins que l’une des pièces du gigantesque piège que tend Martin Scorsese au spectateur. Reste néanmoins que la mise en image des cauchemars et de souvenirs de Teddy Daniels, souvent longue, empesée et visuellement détonnante, déçoit par rapport au reste du film. Quant à la bande originale, à la frontière du style pompier, elle manque singulièrement de subtilité.

Passées ces quelques réserves, il faut bien peser la toute première importance de ce film atypique dans la filmographie de Martin Scorsese. Oeuvre foisonnante et visuellement passionnante, Shutter Island offre au spectateur de vivre une expérience sensorielle étourdissante et inédite, celle d’une progressive perte des repères et d’un plongeon vertigineux dans l’univers de la folie.

03 février 2010

Vincere : la soif du mâle

Vincere, film italien de Marco Bellochio. 1h58.
Sortie sur les écrans le 25 novembre 2009.

Article publié dans la revue Cine qua non de février 2010.


En Italie, au début du vingtième siècle, la riche Ida Dalser donne son coeur, son corps puis son consentement et sa fortune au jeune et fringuant Benito Mussolini. De cette union naîtra un enfant, Benito Albino, presque immédiatement renié par son père avant d'être sacrifié, comme Ida Dasler, sur l'autel de l'ambition politique et de l'idéal fasciste. Pendant près de deux heures, Vincere narre ainsi la lente descente aux enfers d'Ida concomitante à l'ascension du Duce.

Dissipons immédiatement tout malentendu : Vincere n'a rien d'un biopic sur Mussolini. Il est d'abord l'histoire tragique d'une femme et d'une passion. Exit donc les reconstitutions à l'écran de la marche sur Rome et des grandes dates de l'Italie fasciste. Ici, le règne du Duce est essentiellement effleuré, traité par des raccourcis saisissants, à l'image d'un buste en bronze de Mussolini qui se trouve soudain écrasé par une presse : ce plan simple, efficace et percutant figure à lui seul, et avec une puissante économie de moyens, la chute du Duce. Survolée, la grande histoire n'est pourtant pas absente du film, et pour cause : la puissance émotionnelle de Vincere naît d'abord de la dimension authentique et véridique du cauchemar d'Ida. Et ce n'est pas le moindre des mérites de Vincere que d'exhumer cette petite histoire longtemps restée enfouie au coeur de la grande.


En outre, Vincere porte bien son nom : la rage de vaincre et la violence d'un vouloir exacerbé innervent tout le film. Une scène d'amour liminaire entre Ida et le Duce annonce clairement la couleur: la jeune femme, allongée sur un lit, paupières closes, s'abandonne à son amant. Celui-ci, bien au contraire, a les yeux grands ouverts, regardant droit devant lui d’un air déterminé, l’esprit visiblement moins occupé par les délices de la chair que par le froid calcul de ce que ceux-ci lui rapporteront. Un vouloir impétueux qui est aussi et surtout celui d'Ida. Par amour, elle tentera toute sa vie de reconquérir Mussolini, faisant fi des enfermements répétés qu’elle subit et qui sont directement ordonnés par son ancien amant. Ida considère ces outrages comme des mises à l'épreuve. Egoïstement, elle veut reconquérir sa place, celle d'une femme influente mariée à un grand leader, fût-il fasciste et sanguinaire. Et, là encore, Vincere tire sa beauté et son originalité de cet incroyable projet, celui de nous faire aimer une femme, certes victime du Duce, mais prête à tout. Ida n’est pas une égérie contestataire, encore moins une résistante. Son courage n'a d'égal que son envie de vaincre. Elle est une victime qui rêve de rejoindre les bourreaux.

Si Vincere est un film audacieux dans son sujet, il l'est tout autant par sa forme, Bellochio exhibant des choix de mise en scène radicaux mais particulièrement opérants. Première et belle idée, celle de n'incarner Mussolini à l'écran que lors de sa phase de conquête du pouvoir. Une fois à la tête de l'Italie, le Duce n'apparaît plus dans le film que par le biais de véritables images d'archives. Mussolini, devenu icône, appartient désormais à l'histoire ; il n'est plus littéralement et visuellement qu'une image projetée. Second parti pris intéressant, le montage de Vincere alterne habillement scènes intimistes et séquences de foules. Par d’incessants allers-retours entre petite et grande histoire, le film conjugue ainsi le souffle épique d’une fresque historique en costumes à la retenue d'un drame en huis clos. Cette dynamique interne rend Vincere parfaitement déchirant : rien qui ne soit figé, passé ou posé dans le récit, bien au contraire. Le film explore en outre une veine parfois très lyrique, à travers des séquences d’une puissance pathétique indéniable. La séquence où, sous une averse de flocons, Ida, en robe de nuit, s'agrippe aux barreaux d'un hôpital psychiatrique, hurlant qu'elle est l'épouse légitime du Duce, en est un exemple poignant. Plus tard, l’on verra aussi une bouteille jetée à la mer par une femme qui, ayant perdu tout espoir, n'y glisse aucun message d’appel à l’aide. Cela pourrait être grandiloquent, c’est simplement bouleversant.


Le goût des images percutantes, on le retrouve partout dans Vincere. C’est que le média cinématographique est lui-même omniprésent à l’écran. En effet, Bellochio campe de nombreuses scènes de Vincere dans des cinémas de quartier. Dans ces salles, on y verra d’abord les actualités d’époques, rapidement remplacées par les films de propagande fasciste et les discours de Mussolini. Enfin, au sortir du film, un petit cinéma de plein air projettera aux malades d’un hôpital psychiatrique un film, un vrai : The Kid de Charlie Chaplin. Le cinéma, un média pour témoigner du réel tout autant que pour véhiculer des messages populistes. La salle obscure, un lieu salvateur enfin, où l’art peut porter très hautes les valeurs humanistes.

Servie par de magnifiques prestations d’acteurs, Vincere est une oeuvre ambitieuse, toute à la fois culottée et maîtrisée, dont on sort totalement conquis…. pour ne pas dire vaincu. Avec une mise en scène raffinée, lyrique, mais jamais tape à l'oeil, Bellochio signe ici plus qu'un film : par sa (re)tenue, Vincere a déjà toute la superbe de ce que l'on nomme « un classique ».

15 janvier 2010

Tetro : (God)father and son.

Tetro Film américain de Francis Ford Coppola. 
Durée : 2h07. Sortie au cinéma le 23 décembre 2009. 

Article publié dans la revue Cine qua non de janvier2010.


Bennie, à l'aube de ses dix-huit ans arrive à Buenos Aires, bien décidé à mieux connaître son frère aîné, Tetro. Ce dernier a en effet rompu depuis bien longtemps tout lien avec sa famille. Exilé en Argentine, il écrit sans conviction des bribes de pièces et joue à l'occasion les régisseurs pour un petit théâtre de quartier. Passées les retrouvailles glaciales entre les deux frères, Bennie gagne le coeur de Tetro et pénètre petit à petit son intimité. 

Assurément, point n'est besoin d'aimer le cinéma de Coppola pour être conquis par la grâce de Tetro, et pour cause : ce film n'a que peu à voir avec les productions d'antan du réalisateur (Le Parrain, Apocalypse now, Dracula). Cette fois, le budget est serré, l'équipe technique réduite et le sujet très personnel. A l'âge de 70 ans, Coppola se réinvente en quelques sorte, à travers ce film à forte connotation autobiographique : le cinéaste avait un frère aîné qu'il admirait beaucoup et un père distant qu'il vénérait. Cette configuration familiale est à la base de l'intrigue de Tetro. Difficile d'en dire plus; on risquerait de déflorer le sujet. 

Et précisement, la force de Tetro réside d'abord dans sa façon de prendre le spectateur par surprise. Le film débute en effet sur une histoire familiale presque anodine. Tout commence en mode mineur, presque en huis-clos, dans un noir et blanc soigné. On s’amuse un peu et on prend son temps : bref, on est en roue libre en Argentine. Pas pour longtemps : voici notre curiosité titillée par Tetro, cet homme massif et mystérieux. A l'instar de Bennie, on se prend au jeu de piste d'un film qui tente de reconstituer une vie à travers des bribes de romans, quelques lettres ou une photo. C'est à ce moment que Coppola impose à son film un premier changement de régime : des flashbacks viennent larder l'intrigue. Puis, c'est au tour des fantasmes, des rêves et autres mises en scène symboliques de déferler sur l’écran. Voilà bien la politesse de Tetro : celle de de dessiner un itinéraire déroutant et personnel dont seul Coppola connaît le point d'arrivée. Le film nous submerge peu à peu et nous emporte jusqu’à son final opératique, un dernier quart sans doute un peu trop démonstratif où les intentions de Coppola s'affichent davantage et forcent la signification de l'intrigue : le prix à payer pour que le cinéaste opère là sa dernière pirouette et place définitivement son histoire de famille sur le plan symbolique d’une réflexion sur l’histoire du cinéma. 


Car, que nous raconte exactement Tetro, que nous montre-t-il ? Le film s'ouvre sur le gros plan d'une ampoule autour de laquelle s'affole une mouche fascinée tout autant qu'effrayée par l'intensité de la  lumière. Et précisément, Tetro, fils d'un chef d'orchestre prestigieux, a préféré l'anonymat à la notoriété : il a fui le confort familial, a changé de nom et a tu son passé... Son emploi d'éclairagiste pour un théâtre de quartier est particulièrement signifiant du choix de Tetro. Pour lui, pas question de vivre sous les feux de la rampe. Il préfère rester tapi dans l'ombre et diriger les projecteurs sur les acteurs plutôt que sur lui-même. Héros de l'ombre, Tetro fuit la lumière, le trop plein de succès qui aveugle, à l'image d'une ampoule, des phares d'une voiture ou du gyrophare d'un camion de pompiers. Lumière et contre-jour. Succès ou anonymat. Vérité ou mensonge. Tetro nous interroge : vaut-il mieux parler ou se taire ? Filmer ou être filmé ?

Tour à tour froid, violent et tendre, le personnage de Tetro hante le film de bout en bout et rejoint immédiatement le panthéon des grandes héros masculins du cinéma de Coppola. Pour incarner cette figure mystérieuse et ambigüe, le cinéaste a la brillante idée de faire appel à Vincent Gallo, réalisateur sous-estimé et acteur trop souvent absent des écrans. C'est peu de dire que le film doit beaucoup à l'interprétation à fleur de peau de cet acteur d'exception; Vincent Gallo confirme ici qu’il est  aujourd'hui une relève sérieuse aux Pacino et De Niro d'antan. 

Au final, Tetro surprend par l'insistance avec laquelle Coppola se présente ici sous le jour d'un jeune cinéaste, d'un humble apprenti, héritier de ses aînés. A l'âge d'être grand-père, le parrain d'Hollywood s'affiche comme un fils, avec cette oeuvre aux allures de premier film. Une renaissance, on vous le disait !

14 novembre 2009

Les Herbes folles : il (ne) faut (pas) cultiver son jardin.

Les Herbes folles, film français d'Alain Resnais.
sortie : 4 novembre 2009. 1H32.



Le hasard comme point de départ et le surréalisme comme point d'arrivée : tel est le programme de vol du dernier opus d'Alain Resnais. Pour aller de l'un à l'autre, quelques figures fantaisistes et acrobatiques, à l'image de celles qu'effectuera, au sortir du film, l'avion conduit par Marguerite Muir.


Précisément, c'est par Marguerite Muir que tout commence, ou plutôt par le vol à la tire de son sac à main. Ce dernier est rapidement retrouvé par George Palet, lequel, non content de l'apporter à la police, s'entiche de mieux connaître sa propriétaire. Une curiosité qui tourne à l'obsession. Et voilà que la rencontre qui n'aurait jamais dû advenir entre ces deux inconnus semble devenir incontournable. M. Palet, cherche à forcer le destin, à engendrer son propre hasard.

Le hasard, thématique majeure du cinéma de Resnais, se retrouve donc au centre de l'intrigue des Herbes folles. Mais, le film renoue également avec la liberté de ton et de formes caractéristique de nombre des oeuvres du cinéaste. A cet égard, les premiers plans du film sont particulièrement révélateurs du projet des Herbes Folles. Ils s'attachent en effet à mettre en exergue un ridicule détail de notre paysage quotidien : ces petites plantes, ces mousses, ces herbes folles qui poussent dans les failles du bitume fatigué des routes. Une séquence de générique comme un pied de nez aux autoroutes toutes tracées du cinéma académique. La caméra d’Alain Resnais leur préfère les sinuosités des herbes folles qui poussent ça et là, de manière anarchique, au beau milieu de l'asphalte. Et voilà que la fantaisie vient recouvrir le bitume : le cinéma investit le réel et vient innerver notre morne quotidien. Car si "les Herbes folles" du titre font référence aux personnages du film, de joyeuses têtes folles allant de ci de là, elles renvoient bien évidemment à la forme du film.

Bien étrangère à l'art du jardin à la française, la mise en scène cultive dans Les Herbes folles une jungle abondante et impénétrable, faite de bribes de récits enchevêtrés. Le spectateur peine à saisir où va le conduire le film (l'inscription « The end » s'affichera à l'écran en gros caractères, près de trente minutes avant la fin du film...) et il doit rapidement se résoudre à se laisser promener au coeur de ce friche de scénario. A l'image de M. Palet qui ne cesse de repeindre, de rénover, d'embellir sa maison, le cinéaste se plaît à laisser le film se réinventer à chaque scène, convier sans cesse de nouveaux personnages et surtout esquisser des pistes fictionnelles rapidement laissées au bord du chemin (M. Palet, qui a perdu ses droits civiques, serait-il un dangereux personnage ? Quel passé cache-t-il derrière son visage impassible ?).

Pendant une heure trente, et ce n’est pas le moindre des plaisirs procurés par ce film, les grands noms du cinéma français défilent à l'écran, à commencer par les habitués de l'univers de Resnais, Sabine Azéma et André Dussolier. Mais, la fine fleur du (plus si) jeune cinéma français est également de la partie : Mathieu Amalric, Emmanuelle Devos, Anne Consigny, Sarah Forestier, Nicolas Duvauchelle... Même si les partitions qui leur sont proposées s’avèrent assez décevantes car un peu trop courtes pour des acteurs de cette ampleur, tous ont néanmoins répondu présents, comme pour dire : « j'ai tourné avec le maître » . Les décors et la photographie, pareillement superbes, ne gâchent rien au plaisir de cinéma des Herbes folles. Une douce fantaisie qui feraient presque oublier que ce film de jeune homme est réalisé par le doyen des cinéastes français.

Et les spectateurs dans tous ça ? Certains sortiront déboussolés et un peu déçu de l'expérience (nous en sommes), trouvant que cette joyeuse fantaisie qui tourne sur elle-même est somme toute un peu vaine : « tout ça pour ça ? ». Les autres (gageons qu'ils seront nombreux) se laisseront portés par la douceur inquiétante d'un film à la légèreté forcée mais aux qualités formelles indéniables.

05 novembre 2009

Retraitement des déchets : Mic-Macs à tire-larigot.

Mic-Macs à tire-larigot, film français de Jean-Pierre Jeunet.
Sortie : 28 octobre 2009. 1H44.



Une balle perdue qui vient se loger dans son crâne, et voilà que Bazil, employé d'un modeste vidéoclub, s'en va en guerre contre les industries de l'armement. Au détours d'une rue, il croise une bande d'énergumènes vivant à « Tire-Larigot », une caverne faite de bric et de broc qui trône au coeur d'une décharge publique. Bazil ne tarde pas à enrôler dans sa quête cette équipe de bras cassés, aux physiques atypiques, dont le cinéma de Jeunet nous a habitués.


Des moins que rien qui vont bousculer les nantis. Le sujet n'est pas neuf mais bon, pourquoi pas. Pourtant, le titre édifiant du dernier film de Jeunet affiche d'emblée la couleur (… couleur qu'on qualifierait sans hésitation de « jaunâtre», s'il fallait s'en tenir aux images faussement défraichies du film dont la pellicule semble avoir trempé un peu trop longtemps dans le café). La couleur, donc : le bricolage et la récup' règneront ici en maîtres. Il suffit de voir les intérieurs de la grotte de « Tire-Larigot » pour s'en convaincre. Magnifique décor fait de mille objets hétéroclites, d'un immense bric-à-brac savamment agencé... un joli travail de récup' donc, mais pour dire quoi ?


Ce qui inquiète en effet c'est le peu d'attention que le film porte à son histoire, laquelle pourrait être consignée sur un demi ticket de métro. Quant aux personnages, ils sont totalement sacrifiés, Jeunet étant visiblement bien plus préoccupé à filmer le bric à brac qui les entoure. Et voilà que le goût pour la mécanique déteint sur tout le film. Les personnages ne portent pas seulement des noms de machines (Calculette, Remington, Placard...): ils se trouvent réduits à des archétypes, pour ne dire des automates. C'est bien simple, ces esprits-là ne vivent pas ; ce ne sont que des corps mécaniques. La prouesse corporelle est partout, les personnages devant se faire objet pour mieux se fondre dans le capharnaüm de tire-larigot. Jeunet nous donne ainsi à voir des corps suppliciés, contraints par les machines : une contorsionniste qui rentre dans un frigidaire, ou Bazil qui deviendra, le temps d'une scène, un boulet vivant craché par un canon. Des personnages réifiés donc.


C'est qu'ils ne sont qu'un des rouages de l'immense mécanique d'un film-mécano à 22 millions d'euros. Une débauche de moyens et de trucages au service d'un oeuvre qui rêve sans doute de renouer avec la poésie bricolée de Delicatessen (Jeunet fait directement référence à ce film dans une scène... et la comparaison est cruelle pour son Mic-Mac). Là encore, il convient de faire du neuf avec du vieux : citations de scènes entières de Chaplin et références appuyés aux précédents films de Jeunet. L'art de la récupération est bien au coeur de l'écriture et de la réalisation du film. Mais voilà, il y a quelque chose de cassé dans l'univers de Jeunet. Si ce Mic-Mac n'est que rouages et machinerie, ça manque d'huile, à savoir, de vie : les gags se mettent en place avec labeur, les dialogues sont apprêtés et le film souffre d'un réel manque de rythme et d'énergie. Quant à l'improbable greffe Dany Boon, là encore, ça ne prend pas.


Vraiment, la mécanique est grippée. Un gâchis qu'on regrette pour ce cinéaste qui caricature ici son propre univers. La photographie est repoussante et la romance vire à la mièvrerie. Les méchants sont très méchants et les gentils très « gentils ». Morne horizon que celui dessiné par le film : entre des héros demeurés et des méchants cyniques, jamais un regard bienveillant ne se pose sur les personnages. Une oeuvre chosifiée, la vie réifiée. Sans doute aurait-il suffi de presque rien pour faire démarrer cette lourde mécanique. Ce petit rien, cela doit s'appeler « l'âme ».  

20 août 2009

Inglorious Bastards : Hitler chez les Indiens.

Inglorious Bastards film américain de Quentin Tarantino.
19 août 2009. 2h30.


Il était un fois... en 1943. Douze américains justiciers parachutés en France pour scalper du nazi. Une jeune juive française qui tente de venger sa famille massacrée par un officier allemand. Une actrice qui joue un double jeu. Des destins croisés qui fondent l’intrigue loufoque et inattendue du film Inglorious Bastards. Ajoutons-y un casting international particulièrement réjouissant : Brad Pitt en chef guérillero des Bastards, Christophe Waltz, couronnée meilleur acteur à Cannes pour sa désopilante composition d’officier nazi lettré et sanguinaire, Diane Kruger, qu’on découvre enfin sous le jour d’une bonne actrice et pas seulement d’une belle figure, sans oublier la très étonnante Mélanie Laurent, dans le rôle exigeant de Shosanna Dreyfus. Nous voici donc engagés dans la nouvelle aventure du cinéma de Tarantino.

Dès le générique, on retrouve les charmes et les tours qui ont fait le succès planétaire du réalisateur de Pulp Fiction : exploration et détournement du cinéma de genre, superposition des intrigues et manie de la citation. Mais, puisqu’on est en temps de guerre, Tarantino n’hésite pas à en remettre une louche et à sortir la grosse artillerie : blagues énormes, plus énormes que jamais, personnages improbables, situations invraisemblables, décors en carton pâte... On n’y croit pas, pas même une seconde. Nous voici donc dans une guerre d’opérette, une réalité devenue fantasque par la magie du cinématographe.

Tout est là et pourtant on peine à rentrer dans ce film qui se déploie à grand renfort de prouesses visuelles, de trouvailles de mise en scène, mais aussi de longueurs. L’enchaînement d’idées et de morceaux de bravoures visuels ne saurait en effet suffire à faire un film. Quant aux dialogues ciselés qui sont une des marques de fabrique du cinéaste, ils sont parfois savoureux mais se retrouvent trop souvent étouffés au cœur de tunnels de verbiages et de scènes interminables. Car, le gros souci de Tarantino, c’est que le spectateur a bien compris à présent sa posture de cinéaste du décalage et du contre-pied. A telle enseigne qu'on se trouve souvent en mesure d’anticiper ce qu’une très longue scène prétend faire découvrir avec étonnement.

Reste néanmoins intacte la force divertissante du film. Même si Inglorious Bastards peine à tenir en haleine sur toute sa durée, il offre aux spectateurs quelques belles performances d’acteurs et des moments de grâce indéniables. Quant à la conclusion du film, une longue scène dans une salle de cinéma, elle nous dit que le septième art peut tout, y compris réécrire l’Histoire. Venu d’un réalisateur de la trempe de Tarantino, on peut trouver le message naïf. Mais c’est aussi une posture généreuse et fervente, celle d’un cinéaste qui croit au pouvoir distrayant et vengeur de son Art.

05 août 2009

Là-Haut, au sommet.

Là-haut, film américain de Pete Docter et Bob Peterson.
1h44. Sortie le 29 juillet 2009.

«Un film d'hauteur » assurait les affiches promotionnelles de Là-Haut : promesse tenue, ô combien ! Une preuve, s'il en fallait encore, de l'incontestable suprématie que le studio Pixar a acquise sur le genre animé de ce début de XXIème siècle.

En choisissant Carl Fredericksen, un vieillard veuf et antipathique, comme personnage principal de son nouveau film, Pixar poursuit son travail engagé depuis deux films autour des anti-héros repoussoirs et des figures mises aux bancs de notre société : après la rencontre avec Rémi, le rat gourmet de Ratatouille et Wall-E, robot romantique et esseulé, voici donc le spectateur flanqué d'un papi aigri et peu affable.

Carl Fredericksen vit reclus dans sa petite maison de banlieue, laquelle est grandement menacée de disparition par les projets immobiliers qui pullulent alentours. Un monsieur grincheux qu'on n'aurait franchement aucune raison d'aimer si une des scènes liminaires ne nous rappelait pas que ce vieillard qui n'intéresse plus personne fut jadis un jeune homme fringuant et bien mis de sa personne, un aventurier du quotidien passionné, amoureux, romantique. Ils avaient des rêves immenses, des espoirs incroyables. Oui, mais voilà, la vie s'est chargée de donner à Carl Fredericksen son âge et de le contraindre à remettre sans cesse à demain ce qu'il aurait dû engagé la veille.

A cet égard, une des scènes liminaires du film propose en deux minutes le panorama d'une existence, une rétrospective de la vie de Carl Fredericksen, de la rencontre amoureuse de son enfance jusqu'à la mort de sa bien aimée. Une aventure humaine croquée en quelque tableaux du quotidien, un morceau de bravoure qui justifie à lui seul qu'on se déplace dans les salles pour découvrir le film. De ces premières minutes, on ressort en effet ému aux larmes, étonné que l'animation ait atteint une telle maturité, qu'elle puisse enfin parler de l'Homme.

Suivent alors vingt belles minutes passées à explorer notre modernité à travers les yeux d'un homme hors-circuit. Le film décolle ensuite comme prévu et embraye sur d'immanquables péripéties et rencontres avec des personnages hauts en couleurs, en tête desquels un drôle d'oiseau et un chien parlant. Aventures et rebondissements qui séduiront d'abord les enfants.

Pourtant, le tour de force du film est de ne jamais céder à la tentation d'une narration trop prévisible et académique. Si l'on décolle dans Là-haut, c'est en effet pour très vite atterrir : comme dans Wall-E, le film part dans des directions inattendues, déjouant ainsi l'horizon d'attente du spectateur. Suprenante, la narration opère des ellipses et évacue plusieurs scènes d'action pour faire la part belle aux situations donnant à mieux connaître les personnages. Comme, s'il s'agissait de ne jamais sacrifier le vrai sujet du film. Le centre de l'attention, c'est bien ce grand-père grincheux qui semble incarner à lui seul toute l'audace de Là-haut, celle du contrepied. Ainsi le film célèbre-t-il l'aventure du quotidien et choisit-il de montrer les héros de l'enfance sous un jour peu flatteur, celui d'infâmes faux-culs pétris d'ambitions malsaines et de désirs de destruction. Une morale à la Capra en somme, pour un film d'une puissance émotive et d'une force distrayante rares.

01 juillet 2009

Whatever works : à Manhattan, ça marche mieux !

Whatever works, film américain de Woody Allen.
1h32. Sortie le 1er juillet 2009.



« C'est du Woody Allen » : telle était la formule consacrée par laquelle, depuis dix automnes, les fans accueillaient, un peu embarassés, les inégales cuvées du maître. Car mis à part quelques évidentes réussites récentes (Match Point), il était devenu difficile de dire beaucoup de bien des productions alléniennes des années 2000. Comme si le cinéaste était au bout de son Art et qu'il avait achevé d'en explorer toutes les arcanes.

Après avoir déserté pendant quatre ans la ville qui avait servie de décor à tous sa filmographie, Woody Allen signe avec Whatever works un retour gagnant sur ses terres. Le juif new yorkais le plus connu du monde retrouve les rues de Manhattan et nous offre une oeuvre dont le rythme et la verve renouent avec le niveau de ses meilleures productions. On y retrouve le charme des premiers Woody Allen, et pour cause : l'idée originale du film date de 1977. Un Woody vintage, en quelque sorte.

Aussi, et l'on ne s'en étonnera pas, ça parle beaucoup, ça parle bien. Ça parle vite aussi, très vite. Dès le premier plan du film, M. Boris Yellnikoff, intellectuel juif new-yorkais angoissé, nevrosé et vieillissant (toute ressemblance avec une personne connue serait évidemment fortuite...) interpelle le spectateur, face caméra, pour dire tout le mal qu'il pense de ses contemporains et notamment des enfants, véritable ramassi d'imbéciles.

La première et grande vertu du film c'est qu'on rit beaucoup à la vision de Whatever works. Les bons mots fusent, les méchancetés sont assainnées avec délectation par un M. Yellnikoff persuadé de sa supériorité et qui jure que le prix Nobel lui est jadis passé de peu sous le nez... Certes, les situations sont souvent caricaturales et les caractères des personnages particulièrement outrés. Mais, la bonne idée de Woody Allen est de renoncer à interpréter le personnage principal du film et d'offrir le rôle à Larry David, tout à fait convaincant et drolatique dans le rôle de Boris Yellnikoff. La distance que cet acteur comique prend avec les prestations jadis proposées par le cinéaste pour de tels personnages offre au film une belle réflexivité et un second degré qui permettent de vivifier et d'aérer un scénario et des situations qui par ailleurs ne renouvellent guère les ingrédients de la comédie allénienne. Les seconds rôles, comme à l'habitude, sont tenus par d'excellents comédiens et finissent d'emporter l'adhésion du spectateur. Mention spéciale à Patricia Clarkson pour son interpétation jubilatoire d'une mère au foyer en pleine émancipation.

Au final, ainsi que son titre nous l'indique, le film ne prétend guère déployer une leçon de vie. Il parie, amusé, que si tous les conservateurs américains s'épanouissaient, ils deviendraient gays ou babacools. Il conclut que les jeunes filles qui épousent des personnes âgées finiront par les quitter... Rien de renversant donc sur le fond mais, tout au long du film, se fait entendre une petite ritournelle, celle d'un cinéaste assagi et philosophe qui résume en deux mots sa vision de son Art et de la vie : « Whatever works » (littéralement : « n'importe quoi, pourvu que ça marche »). Et, vraiment, cette fois-ci, ça marche.

10 mai 2008

Un Conte de Noël : c'est Noël en mai !

Un Conte de Noël, film français d'Arnaud Desplechin.
2h20. Sortie le 8 mai 2008.



Un conte et si j'ai bien fait le compte : 12 vies en 2 heures, 1 formidable épopée en huis-clos. Un Conte de Noël : Une histoire de famille comme une histoire de cinéma. Catherine Deneuve, sublime mère malade, allégorie d'un cinéma français vieillissant, cherche auprès de ses jeunes rejetons (à savoir la relève : Amalric, Devos, Poupaud, Mastroiani, Consigny...) le sang neuf à-même de lui redonner vie. Comme à l'habitude, à travers la petite histoire familiale qui se raconte là, se joue quelque chose de la grande histoire du cinéma et s'affirme une vision de la création artistique comme perpétuelle re-création des films qu'on a déjà vus, des livres qu'on a déjà lus, des musiques qui ont hanté nos esprits. Les références, les fulgurances, les citations d'écrivains, de cinéastes, de peintres, de musiciens s'accumulent au sein de ce film qui s'assume comme héritier d'un passé riche et hétéroclyte, passé que ce conte vénère tout autant qu'il le détourne, voire le malmène. Car c'est bien connu, et Arnaud Desplechin le répète de film en film : "Personne ne s'entend avec ses parents ".

Résolument savant et pourtant accessible, Un Conte de Noël se savoure comme un pur ravissement dont l'immense vertu est de superposer les horizons, de faire tomber les frontières, de multiplier les frottements et les questionnements, en se gardant bien de donner des réponses définitives aux béances qu'il ouvre. Au sortir de la salle obscure, une seule envie : retourner vite explorer les détours et les espaces d'ombres de cet univers inconfortable et pourtant si douillet, si séduisant, si proche de la vie.

Miracle de Noël, Noël en mai, Un Conte de Noël est tout simplement magique. Assurément le meilleur film que le cinéma français ait engendré depuis ... Rois et Reine, du même Arnaud Desplechin.