24 août 2011

Sortie DVD : Paris brûle-t-il ? de René Clément

Article publié sur la webzine Il était une fois le cinéma

Quarante-cinq ans après son succès en salles, la fresque historique "Paris brûle-t-il ?" paraît en DVD : l'occasion privilégiée de redécouvrir ce film sous-estimé et de rendre hommage à un réalisateur aujourd'hui encore boudé par la critique.   

30 stars françaises, 20 000 figurants, 400 techniciens, 100 chars remis en état, 178 lieux de tournage : ainsi que l'impose le genre de la « fresque historique surproduite », la légende de Paris brûle-t-il ? s'est écrite à grand renfort de chiffres. Adaptation pour l'écran du best-seller de Dominique Lapierre et Larry Collins, cette co-production franco-américaine prétendait renouveler en 1966 l'exploit et le succès planétaire rencontrés quelques années auparavant par Le Jour le plus long. La débauche de moyens au service du projet aurait pu écraser le style du réalisateur René Clément ; il n'en est rien. Si le film n'est pas sans défaut (le premier d'entre eux résidant dans sa durée absolument démesurée), Paris brûle-t-il ? impressionne aujourd’hui encore par sa dramaturgie, sa justesse de ton et sa capacité à ne pas perdre le spectateur malgré une forêt d’enjeux, de personnages et d’intrigues parallèles.

Le choix du noir et blanc et le traitement quasi-documentaire des séquences de combat de rue tranchent de façon radicale avec les images léchés et glacées qui sont habituellement le lot de ce type de production. D’où ce sentiment si particulier d’être plongé au cœur de l’action et plus encore, au cœur de l’Histoire en train de s’écrire. L'ingénieux scénario de Francis Ford Coppola et Gore Vidal n’est pas étranger à cette réussite, mariant brillamment scènes de la grande Histoire et petites histoires d'héros anonymes. En outre, René Clément tire d’efficaces effets de suspens et d’émotion du recours au montage parallèle. Par son rythme plus soutenu et ses gigantesques scènes de liesse, c’est la seconde partie du film qui convainc réellement et emporte l’adhésion du spectateur : René Clément y exalte avec force et panache les beautés de Paris et le pouvoir des masses. Un mot encore sur la musique efficace et entêtante de Jean-Michel Jarre : ponctuant tout le film, la mélodie « Paris en colère » gronde, se cherche, résonne çà et là en variations diverses avant d'exploser, dans les derniers instants du film, dans une vibrante version orchestrale.

Incroyable et pourtant véridique : jamais jusqu'alors ce monument du cinéma mondial n'avait été édité en DVD sur le marché français. C'est dire la défiance tenace de la critique hexagonale à l'égard de l'œuvre de René Clément en général, et de ce film en particulier. Malgré ses 2 oscars et plus de 45 récompenses internationales, René Clément souffre durablement du profond dédain que lui porta jadis une partie de la Nouvelle Vague.

Cette somptueuse édition DVD annoncerait-elle la fin du purgatoire pour le cinéaste ? Outre le film, plus de 3 heures de boni sont rassemblés ici, qui abordent Paris brûle-t-il ? sous deux axes complémentaires, sa valeur historique d’abord, sa valeur artistique ensuite. Les nombreux témoignages d'historiens, de conservateurs et de membres de l'équipe du tournage s'avèrent aussi passionnants que riches d'enseignements. Ils documentent avec précision le contexte de réalisation du film et le replacent dans l’œuvre de René Clément. L’on ne peut que louer le travail d’édition engagé ici, qui permet de rappeler, s'il était encore besoin, que Paris brûle-t-il ? mérite mieux que la moue convenue qui accompagne souvent l'évocation de son titre. A quand une réédition de l’ensemble des films de René Clément dans des copies restaurées et agrémentées de boni ?

03 août 2011

Killing Bono

Un film de Nick Hamm
Avec Ben Barnes, Robert Sheehan, Pete Postlethwaite, Martin McCann

Article publié sur la webzine Il était une fois le cinéma

Un titre percutant et un pitch accrocheur n'ont jamais fait un film : circulez, y' a rien à voir.

  
Dublin, 1976. Le jeune Neil McCormick, petit musicien de rien, rêve de devenir le plus grand chanteur rock de tous les temps. Tandis qu'il fonde avec son frère les Shook Up, son vieux copain de lycée, un certain Bono, crée un petit groupe rock au nom ridicule : U2. La suite, on la connaît : la chanson « Bloody Sunday » fait rapidement le tour du monde, quand Neil McCormick continue à faire les cent pas dans son appartement, dans l'attente de la renommée.

Basé sur une histoire vraie, le point de départ de Killing Bono a tout pour plaire : après Ray, La Môme, Gainsbourg (vie héroïque) et tant d'autres films sur des stars de la chanson, quoi de plus séduisant que d'envisager le biopic d'un illustre inconnu ?

Hélas, le film, interminable au regard de ce qu'il a à nous raconter (près de deux heures), aligne les scènes sans que l'on sache exactement « c'est quand qu'on va où ». Entre biopic, comédie adolescente et film musical, le réalisateur ne choisit jamais sa voie, laissant le film en rade au milieu d'un océan d'indécision. La mise en image des concerts est d'un ennui clinique : ça manque de rythme, de peps et d'audace. Quant à la tentative de montrer les changements esthétiques des décennies 70, 80 et 90, là encore, le résultat est léger-léger. La scène du concert dans une salle miteuse ? Déjà vue dans les Blues Brothers et c'était bien plus drôle. Dublin dans les années 70 ? Déjà vu dans The Commitments et c'était moins mauvais. Les débuts d'un groupe ? Déjà vu dans Hard Day's Night, et au moins la bande son était potable. Car, disons-le tout net : dans Killing Bono, exit la musique de U2 dont le spectateur n'entendra en tout et pour tout qu'une bribe de la chanson « I still haven't find what I'm looking for ». Pour le reste, il faut donc endurer les compositions de notre génial inconnu, lesquelles n'étaient pas restées dans l'oubli pour rien. En un mot, pas de consolation auditive à la désolation visuelle.


En outre, suivre la vie d'un inconnu n'a rien de très palpitant dans le cas présent car Neil et son frère sont ici de simples marionnettes dont les déboires et les désillusions sont utilisés comme des ressorts comiques. C'est peu dire que le trait est forcé. Les personnages sont de telles caricatures qu'on se moque éperdument de savoir ce qu'ils vont devenir ; pire, l'entêtement aveugle et l'auto-satisfaction imbécile de Neil le rendent tout simplement antipathique. On voudrait le chasser de l'écran et troquer l'élève pour le maître, hélas omni-absent de l'écran.

D'ici à ce que le film utilise Bono comme produit d'appel afin de nous re-fourguer des chansons que personne n'a jamais voulu écouter depuis trente ans, il n'y a qu'un pas, qui est d'ores et déjà franchi : qu'on se le dise, la bande originale du film est disponible chez tous les disquaires. Comme si ce musicien raté espérait enfin accéder à la notoriété en donnant en pâture sa destinée pathétique. À l'image de la musique de McCormick qui n'est qu'une pâle copie de celle de U2, le film n'est qu'une vaste arnaque, une imposture totale. Quel ennui ! Ecouter un album de U2 ou revoir les Blues Brothers : au beau milieu de l'été, il y a mille choses de mieux à faire que d'aller voir Killing Bono.


27 juillet 2011

Happy, happy


Un film de Anne Sewitsky
Avec Agnes Kittelsen, Joachim Rafaelsen

Article publié sur la webzine Il était une fois le cinéma


Auréolé d'un prix spécial du jury au festival de Sundance, "Happy, Happy" débarque sur les écrans français. Plongée dans les dérèglements du couple, ce premier film est une comédie douce amère pour le moins réussie.   

Malgré un mari qui la néglige et un fils qui la fait tourner chèvre, la douce Kaia s'entête à prendre la vie du bon côté : cette jeune femme au foyer remercie le ciel pour chaque nouvelle journée, aussi morne et insatisfaisante soit-elle. Pourtant, l'arrivée d'un couple de nouveaux voisins va ébranler ce bonheur de façade et faire prendre conscience à Kaia qu'elle peut continuer à sourire, en arrêtant de subir.


Un Noël blanc pas tout rose

Pour son premier film, la jeune réalisatrice norvégienne Anne Sewisky pose sa caméra dans un désert de neige, au moment des fêtes de Noël. Cette traditionnelle période de trêve va devenir le théâtre d'un délitement puis d'une guerre des couples. C'est que Happy, Happy n'a rien d'une comédie romantique de Noël. Le film se pose même comme un parfait anti- Love Actually puisque le conte vire ici au règlement de comptes.

Tout au long du film, Anne Sewisky décline un thème majeur : l'esclavage. L'angle peut sembler outré voire hors-sujet pour une comédie qui prétend dépeindre les rapports de force au sein du couple. Et pourtant, en s'agrippant à cet axe fort, la jeune réalisatrice met en lumière ce qui, dans les rapports quotidiens au sein d'une famille, s'apparente peu ou prou à un avilissement. La théorie du maître et de l'esclave appliqué au couple ? Pourquoi pas ! Sans méchanceté aucune, chacun des personnages tente de s'en sortir, au risque d'abîmer l'autre.

Quelques intermèdes légers interprétés par un choeur negro spiritual viennent ponctuer le ballet des sentiments: le registre musical choisi renvoie habilement à la thématique de l'esclavage et souligne le caractère de fable de ce conte de Noël.

Deux hommes, deux femmes : combien d'impossibilités ?

Si les personnages aspirent égoïstement à leur propre épanouissement, ils n'en sont pas moins terriblement sympathiques car fragiles, touchants, humains. À travers ces couples qui se décomposent et se recomposent, la réalisatrice met en image avec une grande acuité la fragilité des sentiments et les frontières floues entre tendresse, amitié et amour. La caméra est perpétuellement en mouvement et colle au plus près de ces personnages perdus dans l'immensité immaculée. Magnifiquement dirigé, le quatuor d'acteurs principaux transporte le spectateur du rire aux larmes, au milieu de ce paradis blanc devenu un purgatoire.

A travers ce huis clos enneigé, Anne Sewisky relève son talent à mettre des images sur des sentiments. L'empathie évidente de la réalisatrice pour les deux héroïnes féminines ne sacrifie en rien le traitement des personnages masculins. Le film recèle ainsi quelques scènes magnifiques de justesse, servies par un scénario très précis et bien dialogué (un scénario justement récompensé au festival du film européen de Bruxelles). La scène durant laquelle un jeu de société anodin débouche sur une crise conjugale est de ce point de vue exemplaire. Un bémol toutefois : ce scénario si impeccable est aussi implacable. Revirements et révélations s'enchaînent dans la seconde partie. Trop rapides, presque mécaniques, ils viennent perturber le rythme serein et la tonalité douce-amère du début de film.


Courons sous la neige !

A l'image de ces personnages nus, courant, hilares, dans la neige, Happy, Happy transpire d'une énergie vitale communicative et d'une fraîcheur qui jamais ne se dément. Justesse et maîtrise sont au rendez-vous de ce film à (tout) petit budget qui porte bien son titre : malgré une intrigue qui va conduire les personnages vers des situations de plus en plus dramatiques, la légèreté de ton persiste, envers et contre tout. Comme une politesse, une posture face aux drames humains.

20 juillet 2011

La Traque

Un film d'Antoine Blossier

Avec Grégoire Colin, François Levantal, Fred Ulysse

Article publiée sur la webzine Il était une fois le cinéma

Pour son premier long-métrage, le réalisateur Antoine Blossier transpose le cinéma d’horreur dans la campagne française : le résultat est terrifiant.   


Un gentil trentenaire part à la chasse en forêt avec sa belle-famille. Très vite, pa-ta-ta-traque ! Les sangliers s’énervent,… et le spectateur avec. Car, enfin, qui diable a pu miser un euro sur un scénario aussi imbécile qu'invraisemblable ? Que l’intrigue de La Traque puisse être consignée sur un demi post-it, pourquoi pas : l’horreur est un genre où le pitch importe moins que son potentiel de frissons. De là, à oser mettre en images une histoire aussi mal ficelée et incohérente, le spectateur est forcé de se poser des questions.

Les réactions des personnages apparaissent toutes outrées, plaquées, incompréhensibles. Quant à l'analyse des relations entre le gendre et son beau-papa, elle se révèle aussi subtile et pointue que celle à l'œuvre dans Joséphine, ange gardien. La petite morale de toute cette histoire de chasse aux sangliers ? « Il faut tuer le père, mais pas celui de votre fiancée, sinon celle-ci va se fâcher » : Tenez-vous le pour dit ! Devant tant de ridicule, provoquer la peur relève dès lors d’un véritable exercice de style.

Du style, il en faudrait précisément, faute de moyens financiers conséquents pour mettre en images les scènes d’affrontement entre les chasseurs et ces vilains cétartiodactyles assoiffés de sang humain. Pourtant, si le film est fauché, il n'a jamais l'astuce suffisante pour tourner sa pauvreté en atout, à l’image d’un Blair Witch Project, devenu la référence du genre. Faute d'argent, le réalisateur s'applique à cacher la misère, à travers des convulsions et circonvolutions de caméra, un montage épileptique et des salves de gros plans qui découpent en petits morceaux les énormes monstres sanguinaires… Tout cela est si mal mis en scène qu'on finit par ne plus même comprendre ce qui se passe à l'écran, ce qui, du reste, n'est pas très grave.

Décidément, le cinéma de genre, l’horreur en particulier, le cinéma français ne sait pas faire. Malgré une solide équipe technique, les séquences en forêt ne sont qu'un immense bourbier. L’action s'enlise, et Antoine Blossier aligne les séquences sans énergie ni invention : papa meurt, fiston meurt,... Afin d'abréger nos souffrances et celles des acteurs, on rêve de l'assaut d'une meute de sangliers décimant vite fait bien fait les derniers survivants.

Au sortir de la salle obscure, l’énigme reste entière : qui a pu financer cette horreur de film ? Une seule chose est certaine avec La Traque : si les chasseurs deviennent le gibier, le spectateur, lui, reste le dindon de la farce.

22 juin 2011

Pater


Un film de Alain Cavalier
Avec Vincent Lindon, Alain Cavalier, Bernard Bureau

Article publié sur la webzine Il était une fois le cinéma


Une forme ludique pour un propos politique :
le dernier film d'Alain Cavalier fait la révolution en s'amusant.

« J'ai l'impression que je peux vraiment être premier ministre »

Il était une fois deux amis, deux artistes : Alain Cavalier et Vincent Lindon, un cinéaste et son comédien. Pendant un an, à la manière d'un jeu d'enfants, ils se sont filmés à la fois dans vie et dans le cadre d'une fiction politique qu’ensemble ils ont inventée au gré de leurs rencontres. Alain Cavalier campe ici un président en fin de règne qui veut transmettre les rênes du pouvoir à son idéaliste et fougueux premier ministre (Vincent Lindon). Voilà pour la trame de départ sur laquelle les acteurs doivent broder. Là-dessus, des cameramen à bas coût (les acteurs eux-mêmes), quelques décors sommaires (l'appartement d'Alain Cavalier, le dressing de Vincent Lindon...), des seconds rôles refilés à de bons copains ou au premier venu : le tournage peut commencer ... et au spectateur de se débrouiller avec ça !

« Nous sommes dans la fiction... enfin un peu. Mais nous, on mélange tout »

Qu'on ne s'y trompe pas : si le dispositif de Pater se veut modeste, le film en lui même ne manque pas d'ambition. Depuis plus d'un siècle, le cinéma ne cesse de questionner la frontière floue et parfois si ténue qui sépare fiction et réalité. Ici, l'incertitude sur le statut de l'image agit comme postulat. Alain Cavalier entremêle sans vergogne scènes documentaires et séquences de fiction ; parfois, l'une et l'autre se succèdent, se confondent dans la même prise, à telle enseigne que le spectateur éprouve un vertige face à l'incertitude qui règne à l'écran. Que penser de ces scènes montrant des séances de travail avec l'équipe du film ? Sont-elles des prises documentaires à la manière d'un making of ou une reconstitution de tournage ? Le rapport entre vérité et mensonge, fiction et documentaire est si incertain que la question de savoir « si c'est du lard ou du cochon » vole très vite en éclat : répétitions, tranches des vies, making of et scènes de fiction ne sont que les différents fils finement tressés d'une seule et même étoffe.

« Film expérimental », une formule magique qui s'avère d'ordinaire diablement efficace pour vider les salles obscures. Pourtant, si Pater a tout d'un véritable OFNI (Objet Filmique Non Identifié), il n'en est pas moins jubilatoire et très facile d'accès. Cette avant-garde n'a rien d'un pensum post-moderniste réservé à l'usage exclusif d'une poignée d'initiés masochistes. Bien au contraire : pour peu qu'il fasse le déplacement, le grand public prendra beaucoup de plaisir à la vision d'un film où l'ironie et le comique de situation règnent en maîtres. Les acteurs, irrésistibles à la vie comme dans la fiction, participent pour beaucoup de ce bonheur de cinéma. L'esprit ludique, parfois potache, de ce long-métrage n'a d'égal que la vivacité de sa forme et sa liberté de ton.


Au « Non » du père

Il y a dans ce Pater la pleine expression d'un esprit sain, celui de Vincent Lindon, un John Doe rempli de bons sens. « Si je suis bien entouré, si je choisis les bonnes personnes, si j'ai la bonté en moi, si j'ai du bon sens... » : (faussement) naïf, il énumère dans le film les conditions de sa réussite au poste de Premier ministre, avant de constater : « dans une entreprise, quand le dernier ouvrier non qualifié touche cinquante fois moins que son patron, il y a quelque chose qui ne va pas ». Pour mettre un terme à cette injustice, à l'acteur-ministre de proposer toute une série de mesures, le plus souvent fantaisistes ou naïves, mais qui toutes mettent le doigt sur une évidence : le fric et le pouvoir gangrènent nos sociétés. Quelques anecdotes documentaires particulièrement drôles et efficaces viennent souligner la dimension véritablement politique du film et l'indignation d'Alain Cavalier face aux puissances de l'argent. Pater possède en effet cette remarquable capacité à ratisser large, à ouvrir son propos sur de nombreux sujets de société (le sport, les fringues, les propriétaires,...). Parce qu'il ne théorise pas son discours, jamais le film ne sermonne, ni ne prêche : son message n'en est que plus puissant. Sa générosité et son enthousiasme déplaceraient des montagnes. Hélas, point de miracle en ce bas monde. Faute de perspectives célestes, Pater loue alors à l'envie les nourritures terrestres.

Top chef

Pater commence dans une cuisine et s'achève autour d'un dîner. De la préparation liminaire à la dégustation finale, la caméra d'Alain Cavalier s'attardera souvent en cuisine, lieu de tous les fantaisies culinaires où l'on célèbre la bonne chère et les bons vins. Le film s'ouvre précisément sur un cours de cuisine « sans filets » : le réalisateur, filmé par son acteur, est afféré au dressage d'une assiette. Assaisonner les produits, marier les saveurs, l'expérimentation culinaire joue pour sûr comme métaphore du processus de création à l'oeuvre dans Pater.

Faire sa tambouille entre amis renvoie encore et surtout à la cuisine électorale à laquelle nous assistons tout au long du film : l'élection vue comme une loterie, le chantage comme un mode de négociation et, au milieu de tout cela, un fils qui trahit son père spirituel. La gastronomie, art noble et fierté française, devient tambouille politique. Au cours du film, la visite de la garde-robe de Vincent Lindon ne nous donne pas d'autre recette pour réussir : tout est question de taille de costume et de choix de paire de chaussures. L'habit fait le politique, l'apparence fait le rôle. Comme si, pour ces décideurs dérisoires enfermés dans leur tour d'ivoire, il ne s'agissait soudain plus d'agir mais de communiquer, non plus de faire mais d'avoir l'air. Dans Pater, il n'est question que de jeu, toujours et partout, et d'interprétation : savoir être un bon ministre, un bon acteur, un bon-homme, un bon fils. Vertige d'une modernité où la fiction tend à supplanter le réel.


Par sa forme indéfinissable, ce film traduit de manière particulièrement habile la dimension fictionnelle qui dissout la réalité du monde contemporain. La liberté absolue et le propos cavalier de ce work in progress font le restent, emportant le spectateur sur des chemins de traverse où il fait bon se perdre pour retrouver le plaisir d'un pique-nique en forêt, d'un pastis entre amis ou d'une sieste avec un boulanger. Un film rieur et salvateur. Un Pater que nous faisons nôtre.