Durée : 2h07. Sortie au cinéma le 23 décembre 2009.
Article publié dans la revue Cine qua non de janvier2010.
Bennie, à l'aube de ses dix-huit ans arrive à Buenos Aires, bien décidé à mieux connaître son frère aîné, Tetro. Ce dernier a en effet rompu depuis bien longtemps tout lien avec sa famille. Exilé en Argentine, il écrit sans conviction des bribes de pièces et joue à l'occasion les régisseurs pour un petit théâtre de quartier. Passées les retrouvailles glaciales entre les deux frères, Bennie gagne le coeur de Tetro et pénètre petit à petit son intimité.
Assurément, point n'est besoin d'aimer le cinéma de Coppola pour être conquis par la grâce de Tetro, et pour cause : ce film n'a que peu à voir avec les productions d'antan du réalisateur (Le Parrain, Apocalypse now, Dracula). Cette fois, le budget est serré, l'équipe technique réduite et le sujet très personnel. A l'âge de 70 ans, Coppola se réinvente en quelques sorte, à travers ce film à forte connotation autobiographique : le cinéaste avait un frère aîné qu'il admirait beaucoup et un père distant qu'il vénérait. Cette configuration familiale est à la base de l'intrigue de Tetro. Difficile d'en dire plus; on risquerait de déflorer le sujet.
Et précisement, la force de Tetro réside d'abord dans sa façon de prendre le spectateur par surprise. Le film débute en effet sur une histoire familiale presque anodine. Tout commence en mode mineur, presque en huis-clos, dans un noir et blanc soigné. On s’amuse un peu et on prend son temps : bref, on est en roue libre en Argentine. Pas pour longtemps : voici notre curiosité titillée par Tetro, cet homme massif et mystérieux. A l'instar de Bennie, on se prend au jeu de piste d'un film qui tente de reconstituer une vie à travers des bribes de romans, quelques lettres ou une photo. C'est à ce moment que Coppola impose à son film un premier changement de régime : des flashbacks viennent larder l'intrigue. Puis, c'est au tour des fantasmes, des rêves et autres mises en scène symboliques de déferler sur l’écran. Voilà bien la politesse de Tetro : celle de de dessiner un itinéraire déroutant et personnel dont seul Coppola connaît le point d'arrivée. Le film nous submerge peu à peu et nous emporte jusqu’à son final opératique, un dernier quart sans doute un peu trop démonstratif où les intentions de Coppola s'affichent davantage et forcent la signification de l'intrigue : le prix à payer pour que le cinéaste opère là sa dernière pirouette et place définitivement son histoire de famille sur le plan symbolique d’une réflexion sur l’histoire du cinéma.
Tour à tour froid, violent et tendre, le personnage de Tetro hante le film de bout en bout et rejoint immédiatement le panthéon des grandes héros masculins du cinéma de Coppola. Pour incarner cette figure mystérieuse et ambigüe, le cinéaste a la brillante idée de faire appel à Vincent Gallo, réalisateur sous-estimé et acteur trop souvent absent des écrans. C'est peu de dire que le film doit beaucoup à l'interprétation à fleur de peau de cet acteur d'exception; Vincent Gallo confirme ici qu’il est aujourd'hui une relève sérieuse aux Pacino et De Niro d'antan.
Au final, Tetro surprend par l'insistance avec laquelle Coppola se présente ici sous le jour d'un jeune cinéaste, d'un humble apprenti, héritier de ses aînés. A l'âge d'être grand-père, le parrain d'Hollywood s'affiche comme un fils, avec cette oeuvre aux allures de premier film. Une renaissance, on vous le disait !