sortie : 4 novembre 2009. 1H32.
Le hasard comme point de départ et le surréalisme comme point d'arrivée : tel est le programme de vol du dernier opus d'Alain Resnais. Pour aller de l'un à l'autre, quelques figures fantaisistes et acrobatiques, à l'image de celles qu'effectuera, au sortir du film, l'avion conduit par Marguerite Muir.
Précisément, c'est par Marguerite Muir que tout commence, ou plutôt par le vol à la tire de son sac à main. Ce dernier est rapidement retrouvé par George Palet, lequel, non content de l'apporter à la police, s'entiche de mieux connaître sa propriétaire. Une curiosité qui tourne à l'obsession. Et voilà que la rencontre qui n'aurait jamais dû advenir entre ces deux inconnus semble devenir incontournable. M. Palet, cherche à forcer le destin, à engendrer son propre hasard.
Le hasard, thématique majeure du cinéma de Resnais, se retrouve donc au centre de l'intrigue des Herbes folles. Mais, le film renoue également avec la liberté de ton et de formes caractéristique de nombre des oeuvres du cinéaste. A cet égard, les premiers plans du film sont particulièrement révélateurs du projet des Herbes Folles. Ils s'attachent en effet à mettre en exergue un ridicule détail de notre paysage quotidien : ces petites plantes, ces mousses, ces herbes folles qui poussent dans les failles du bitume fatigué des routes. Une séquence de générique comme un pied de nez aux autoroutes toutes tracées du cinéma académique. La caméra d’Alain Resnais leur préfère les sinuosités des herbes folles qui poussent ça et là, de manière anarchique, au beau milieu de l'asphalte. Et voilà que la fantaisie vient recouvrir le bitume : le cinéma investit le réel et vient innerver notre morne quotidien. Car si "les Herbes folles" du titre font référence aux personnages du film, de joyeuses têtes folles allant de ci de là, elles renvoient bien évidemment à la forme du film.
Bien étrangère à l'art du jardin à la française, la mise en scène cultive dans Les Herbes folles une jungle abondante et impénétrable, faite de bribes de récits enchevêtrés. Le spectateur peine à saisir où va le conduire le film (l'inscription « The end » s'affichera à l'écran en gros caractères, près de trente minutes avant la fin du film...) et il doit rapidement se résoudre à se laisser promener au coeur de ce friche de scénario. A l'image de M. Palet qui ne cesse de repeindre, de rénover, d'embellir sa maison, le cinéaste se plaît à laisser le film se réinventer à chaque scène, convier sans cesse de nouveaux personnages et surtout esquisser des pistes fictionnelles rapidement laissées au bord du chemin (M. Palet, qui a perdu ses droits civiques, serait-il un dangereux personnage ? Quel passé cache-t-il derrière son visage impassible ?).
Pendant une heure trente, et ce n’est pas le moindre des plaisirs procurés par ce film, les grands noms du cinéma français défilent à l'écran, à commencer par les habitués de l'univers de Resnais, Sabine Azéma et André Dussolier. Mais, la fine fleur du (plus si) jeune cinéma français est également de la partie : Mathieu Amalric, Emmanuelle Devos, Anne Consigny, Sarah Forestier, Nicolas Duvauchelle... Même si les partitions qui leur sont proposées s’avèrent assez décevantes car un peu trop courtes pour des acteurs de cette ampleur, tous ont néanmoins répondu présents, comme pour dire : « j'ai tourné avec le maître » . Les décors et la photographie, pareillement superbes, ne gâchent rien au plaisir de cinéma des Herbes folles. Une douce fantaisie qui feraient presque oublier que ce film de jeune homme est réalisé par le doyen des cinéastes français.
Et les spectateurs dans tous ça ? Certains sortiront déboussolés et un peu déçu de l'expérience (nous en sommes), trouvant que cette joyeuse fantaisie qui tourne sur elle-même est somme toute un peu vaine : « tout ça pour ça ? ». Les autres (gageons qu'ils seront nombreux) se laisseront portés par la douceur inquiétante d'un film à la légèreté forcée mais aux qualités formelles indéniables.